Pour le deuxième volet de leur trilogie sur l'histoire du Canada français, les codirecteurs du Nouveau Théâtre Expérimental empruntent les voies navigables du continent pour raconter la vie de personnages colorés qui ont contribué à bâtir ce pays. Je me souviens.

«Il nous faut un endroit où on peut produire tout ce qu'on ne peut pas faire ailleurs!», aimait dire le regretté Robert Gravel pour expliquer l'existence du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE). Trois décennies après sa fondation, Alexis Martin et Daniel Brière poursuivent le singulier mandat de la troupe qui loge à l'Espace Libre.

Leur plus récent projet en témoigne. Dès mardi, les codirecteurs du NTE proposent rien de moins que d'écrire «notre roman national» en parcourant quatre siècles de l'histoire du Canada français au théâtre! N'est-ce pas trop ambitieux de porter sur scène un sujet aussi vaste?

«On a choisi de raconter l'histoire du Canada non pas de façon monumentale [les grands hommes, les grandes dates], mais à travers la vie et les mentalités des gens, au quotidien, explique l'auteur et comédien Alexis Martin. L'histoire, ce n'est pas juste ces figures austères et coulées dans le bronze devant le parlement. En faisant mes recherches, j'ai découvert des personnages surprenants. Des colons qui sont de véritables forces de la nature, des aventuriers incroyables! Mais aussi des personnages colorés, fous, très théâtraux, finalement.»

Le metteur en scène, Daniel Brière, rappelle qu'en 1960, quand Jean-Pierre Ronfard est arrivé à Montréal (de France) pour enseigner à l'École nationale de théâtre du Canada, il a été très étonné de constater à quel point peu de documents historiques étaient disponibles au Québec. «Jean-Pierre ne comprenait pas, par exemple, qu'on ne retrouve aucune pièce sur d'Iberville, Radisson ou Champlain dans le répertoire québécois.»

«Aux États-Unis, des gens comme Champlain, Marquette, Joliette ou Jeanne Mance auraient déjà inspiré plusieurs auteurs, ajoute Alexis Martin. On aurait produit huit téléséries sur Champlain!»

Le comédien a même découvert que le père Marquette a sa statue au Capitole, à Washington. Alors qu'ici, c'est le nom d'une polyvalente du quartier Rosemont. Nul n'est prophète en son pays...

À l'époque de Ronfard, le déni et le mépris de soi d'un peuple qui se croyait «né pour un petit pain» pouvaient expliquer ce manque, estiment ces deux pères de famille. Or, en 2013, les deux créateurs souhaitent que la génération Y reprenne goût à l'enseignement et à la diffusion de l'histoire. «Quand on ne sera plus là, on aimerait bien que nos enfants soient dépositaires de notre passé en terre d'Amérique.»

De 1608 à 1998

Après l'énergie et le chauffage, le deuxième volet de la trilogie, intitulé Les chemins qui marchent, se penche sur le rapport de nos ancêtres avec les cours d'eau (le dernier volet portera sur la nourriture). Le récit de chaque pièce se situe entre 1608 (date de la fondation de la ville de Québec) et 1998, l'année de la crise du verglas.

Pourquoi cette dernière date? «C'est comme un électrochoc collectif durant lequel la société québécoise s'est rendu compte de sa vulnérabilité», explique Martin.

Entre ces deux pôles, il s'est inspiré de l'histoire pour fabriquer une oeuvre qui est aussi ludique (on est au NTE), imagée et musicale. «J'ai écrit une vingtaine de chansons avec la musique d'Anthony Rozankovic, dit Martin. Finalement, on a presque créé une comédie musicale sur l'histoire du Canada français!»

Le titre de la pièce évoque la manière dont les Amérindiens désignaient les rivières et les fleuves, qui étaient le meilleur moyen d'explorer le pays. Les alliances avec les Amérindiens ont duré jusqu'à la Conquête, et l'auteur et le metteur en scène ont donné une place importante aux Premières Nations dans cette production.

«Autour des différents cours d'eau, on a construit des récits qui sont comme des fragments de l'histoire du Canada, dit Brière. On naviguera dans les eaux de la Manicouagan, du Saint-Maurice, du Saint-Laurent, du Mississippi, de la rivière des Outaouais, etc.»

«L'homme européen qui arrive avec sa soif de possession et son appétit de pouvoir entrera en choc avec les valeurs des Autochtones, rappelle Martin. Ces derniers ont une conception du territoire totalement opposée. Pour eux, la terre n'appartient à personne.»

François Papineau, Dominique Pétin, Gary Boudreault, Steve Laplante, Marie-Ève Trudel, Pierre-Antoine Lasnier, Carl Poliquin et Alexis Martin sont les interprètes de ces histoires d'eau, de folie et de grandeur.

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Au théâtre Espace Libre, du 26 février au 28 mars. www.nte.qc.ca