Acteur chevronné qui a joué (presque) tous les classiques - Tchekhov, Shakespeare, Claudel, Racine -, Jean-François Casabonne est aussi auteur, chanteur et poète. Avec son prochain rendez-vous pour La Veillée, le comédien plonge dans la puissance originelle de l'écriture. Place au conte théâtral dans lequel le Verbe se fait chair.

Dans une lettre posthume à sa mère, décédée en 1991, Jean-François Casabonne écrit qu'elle avait «l'Âme en majuscule» ! Voilà bien le fils de sa mère qui, dans son âme et son coeur, ne voit jamais les lettres en minuscules...

Les mots, Jean-François Casabonne les aime passionnément. Intensément. À tel point qu'il en fait son métier, bien sûr, mais aussi sa raison de vivre. Les mots, l'acteur les prononce sur les planches ou dans les studios depuis maintenant 25 ans. Grâce à son timbre de velours, les mots deviennent son et couleur, mouvement et douceur, musique et texture. Il prête également sa voix pour dire les mots de ses auteurs préférés (voir encadré) lors de lectures publiques. Qui plus est, loin des projecteurs, il joue avec les consonnes et les voyelles, comme Rimbaud! Casabonne dépose les lettres sur la page blanche - il écrit uniquement avec une plume et du papier - pour faire de la prose, des vers ou des chansons. Comme Ferré!

Au commencement était l'acteur, issu du Conservatoire d'art dramatique de Montréal, promotion 1988 - même classe que Luc Picard. Sa carrière commence lentement, mais sûrement. Il va passer d'un personnage à l'autre, petit ou grand, toujours avec intensité et en s'investissant totalement dans le jeu.

«Cet amour des mots remonte à mon enfance, se souvient-il. Mais, plus jeune, je souffrais de problèmes de dyslexie. Et j'avais de mauvaises notes en français. Je vais donc attendre jusque vers 30 ans, avant de considérer l'écriture plus sérieusement.»

Aujourd'hui, Jean-François Casabonne mène parallèlement son travail d'acteur et d'auteur: une demi-douzaine de livres et un recueil de poésie, La clarté lui tient la main avec son nez de cerf, un ouvrage ciselé comme un bijou d'artisan, sous la supervision de l'éditeur Pierre Fillion avec des dessins de Marc Séguin (malheureusement en rupture de stock). Sans oublier l'auteur-compositeur-interprète qui a présenté deux spectacles «en chantier» aux FrancoFolies et au Studio-Théâtre de la PdA, et qui lancera un album, Le temps pond (sic), l'automne prochain.

«Comme l'eau est constituée d'hydrogène et d'oxygène, l'écriture et le jeu se nourrissent l'un et l'autre, dit-il. Mêlées ensemble, ces deux activités ont le pouvoir d'abreuver le comédien autant que l'auteur.» Ah! l'infini bonheur de la métaphore!

Le blé en herbe

En avril prochain, Jean-François Casabonne sera chez Duceppe pour jouer aux côtés de Michel Dumont dans un drame historique, Le diable rouge, sous la direction de Serge Denoncourt. Mais avant cela, l'acteur va porter les mots durs et audacieux de l'auteur écossais David Harrower dans la pièce Des couteaux dans les poules, à l'affiche du Prospero dès mardi soir.

L'argument est simple. Dans la campagne écossaise au seuil du XVIIIe siècle, un laboureur (Stéphane Jacques) et sa jeune épouse (Isabelle Roy) vivent retirés du monde. Leurs rares contacts humains sont avec le meunier (Casabonne). Le jour de la récolte, la femme doit apporter le grain mûr au moulin. Or, le meunier ne fait pas que transformer le blé en farine; il se nourrit de l'écriture, du savoir, de la connaissance. Ce qui le rend suspect aux yeux de sa (petite) communauté. Néanmoins, la curiosité de la femme aura raison de sa haine envers le meunier.

«Pour la jeune femme, le langage déverrouille les choses: grâce à lui, le monde devient un endroit différent, il déstabilise son univers, a commenté David Harrower en entrevue. Mais cela implique une grande liberté. Il y a aussi un danger quand elle se rend compte qu'elle peut créer des choses par le langage lui-même.»

«La langue de Harrower est fascinante! Elle est à demi inventée; elle me fait penser à des racines qui s'enfoncent avec force dans les mots, illustre Casabonne. D'ailleurs, le titre de la pièce est une image pour parler du pouvoir du langage qui s'enfonce dans la chair. Pour tuer la peur et l'ignorance.»

Casabonne est aussi fasciné par l'intelligence et le talent de Catherine Vidal, une jeune metteure en scène qu'on a découverte en 2009, dans la salle intime du Prospero, avec Le grand cahier.

«Catherine est capable de faire ressortir tout le mystère que cette fable envoûtante recèle, conclut-il. Cette pièce est un microcosme de l'humanité qui avance et qui se modernise. J'espère qu'elle va rejoindre tous ceux et celles qui, comme moi, croient que les mots guérissent les blessures de l'âme.»

Des couteaux dans les poules, au Théâtre Prospero, production La Veillée, du 26 février au 23 mars.