On ne se lasse pas d'entendre la langue musicale de Marcel Pagnol; une langue précise et imagée, vive et pleine d'esprit, de tendresse aussi. Dès la création de Marius, premier volet de sa trilogie marseillaise suivi de Fanny et de César, Pagnol avait insisté pour que la pièce soit jouée avec l'accent provençal. Exactement le défi qu'a imposé le metteur en scène Normand Chouinard à ses acteurs.

Une couleur locale, donc, mais au coeur d'une intrigue familiale à la portée universelle.

Nous sommes dans les années 30, au Café de la marine, un bar tenu par le personnage à la fois gai et bourru de César, défendu avec brio par Rémy Girard. Son fils Marius, qui travaille au quotidien avec lui, n'a pas le coeur à l'ouvrage. Le jeune homme rêve de prendre le large, de s'engager comme marin et de découvrir le monde. On le comprend.

Évidemment, il y a une histoire d'amour là-dessous. Fanny, la fille de la poissonnière Honorine (veuve elle aussi), est amoureuse de Marius depuis sa prime jeunesse. Elle lui avoue son amour au moment où le vieux maître Panisse, veuf depuis quelques mois, lui fait une demande de mariage. Manuel Tadros, dans le rôle de cet homme aussi charmant que calculateur, est tout simplement magnifique.

On connaît la suite. Malgré son amour pour Fanny, Marius décide de quitter sa «petite vie» provençale pour «la grande aventure» marine. La jeune Fanny décide de l'attendre, jusqu'au jour où elle apprend qu'elle est enceinte (de Marius). C'est à ce moment qu'elle se résout à épouser Panisse. Pour ne pas être déshonorée. Mais voilà, 18 mois plus tard, Marius réapparaît... «It's complicated»! aurait-il publié sur sa page Facebook aujourd'hui.

L'intrigue de Marius et Fanny est généralement connue. D'où le défi des créateurs, qui ne peuvent pas vraiment compter sur l'effet de surprise. On passe aussi à côté du dénouement complet de l'histoire puisqu'on n'aborde pas du tout le troisième volet (César), qui se passe 20 ans plus tard. Résultat: un récit un peu linéaire, livré à la manière d'un feuilleton théâtre, qui se termine avec des points de suspension.

Heureusement, les acteurs nous offrent une performance assez divertissante. Rémy Girard et Manuel Tadros forment un redoutable duo. Au point où ils éclipsent un peu les personnages centraux de Marius et Fanny, incarnés par François-Xavier Dufour et Marie-Pier Labrecque. Les deux jeunes acteurs s'en tirent quand même bien, même si l'accent marseillais leur joue parfois des tours. Danièle Lorain et Sophie Faucher, dans les rôles d'Honorine et de sa soeur Claudine, nous offrent aussi de très bons moments.

Normand Chouinard, qui maîtrise parfaitement les ressorts comiques de ce texte, nous propose en contrepartie une mise en scène assez convenue, et ce, malgré les très beaux décors de Jean Bard, qui nous montrent le Café de la marine, tantôt de l'intérieur, tantôt de l'extérieur. En près de trois heures, on aurait aimé qu'il nous sorte un peu de notre zone de confort. Même si, on en convient, la prose de Marcel Pagnol est extrêmement confortable.

Jusqu'au 23 février au Rideau Vert