L'image d'un souverain vieillissant, déjà presque grabataire, s'impose naturellement à l'esprit lorsqu'on lit Le roi se meurt d'Eugène Ionesco. Sur les planches du TNM, où la pièce est présentée depuis cette semaine, le personnage du roi Bérenger 1er n'est pourtant pas défendu par un acteur d'âge vénérable, mais par un jeunot qui n'a pas 35 ans: Benoît McGinnis qui, après Hamlet, trouve un nouveau rôle à la mesure de son immense talent.

Ce refus de l'évidence est le point d'ancrage d'une mise en scène particulièrement éloquente signée Frédéric Dubois, lui aussi dans la jeune trentaine. En rajeunissant le roi, il ne fait pas que dépoussiérer un texte vieux d'un demi-siècle, il en actualise singulièrement le propos, qu'il adresse clairement aux générations montantes la sienne et les suivantes tout en incluant les précédentes.

Le roi se meurt, en quelques mots, montre un dirigeant épuisé et malade qui fait face à l'effondrement de son royaume en refusant d'abord énergiquement d'admettre l'inéluctable: sa fin et celle d'un monde. Il se demande inévitablement ce qu'il a fait et ce qu'il «n'a pas eu le temps» de réaliser. Ou n'a pas pris le temps de faire. Surtout, il a peur.

L'assistance fait partie de la cour du roi dans cette mise en scène qui abolit toute frontière entre la scène et la salle Benoît McGinnis lui-même traverse le parterre plus d'une fois. Bérenger, c'est aussi chacun de nous, tient à rappeler Frédéric Dubois en tendant littéralement un miroir au public.

Il demande: et vous? mourrez-vous aussi à un âge où on doit vivre? laisserez-vous votre royaume s'effriter en détournant le regard? Il est difficile de ne pas songer à notre relation au consumérisme autodestructeur devant cette pièce. Encore plus difficile de ne pas faire de lien entre ce royaume qui s'effondre et notre société qui chancelle sur les plans économique et social. Dans l'indifférence générale, souvent.

Les bonnes idées du metteur en scène s'appuient également sur une direction d'acteurs d'une précision exceptionnelle, du corps jusqu'à la musique très particulière du texte. Ses interprètes brillent tous : Kathleen Fortin (Juliette, la femme de ménage), Patrice Dubois (le médecin qui donne froid dans le dos), Isabelle Vincent (la reine Marguerite, voix de la raison) et Violette Chauveau (la reine Marie, poupée caricaturale et délirante). L'idée de faire jouer le garde par un enfant n'est pas particulièrement convaincante, elle, mais le jeune Émilien Néron s'en tire.

Benoît McGinnis, aussi imposant qu'il est frêle, est en parfait contrôle au coeur de cette pièce un peu longue, mais à la mécanique irréprochable. Il épouse sans même effleurer la caricature les humeurs changeantes de son personnage, qu'il fait vivre et mourir avec une facilité déconcertante.

La vision originale de Frédéric Dubois est une proposition comme on en voit rarement au TNM. Elle s'appuie aussi sur les costumes inspirés de Linda Brunelle (les robes et les traînes de papier des deux reines, notamment) et d'Anick La Bissonnière aux décors dépouillés, mais extrêmement pertinents.

Le roi se meurt, jusqu'au 9 février au TNM.