Il suffit parfois d'un rien - une intonation, un silence, un bref malentendu -, pour qu'une longue relation humaine bascule. C'est le propos de Pour un oui ou pour un non, pièce de Nathalie Sarraute présentée une première fois au Québec en 1999 par une troupe de France au FTA, mais enfin portée à la scène par des Québécois. Cette fois, l'exceptionnel dialogue sera interprété par Marc Béland et Vincent Magnat, dirigés par Christiane Pasquier. Oubliez les clichés sur le nouveau roman, l'intellectualisme, le parisianisme, le cérébral: rien n'est plus humain, plus intime, que ce Pour un oui ou pour un non de Sarraute.

Les voisins de Claude Meunier et Louis Saïa, mais à la française: ainsi pourrait-on résumer - très grossièrement, c'est vrai! - l'oeuvre dramaturgique de Nathalie Sarraute, écrivaine russo-française née en 1900 et morte en 1999. En effet, les clichés, les phrases toutes faites, les lieux communs, tout était bon à Sarraute (et à Meunier-Saïa) pour exprimer l'inexprimable: les tout petits silences, les indicibles malaises, les presque riens qui font mal à cause d'une intonation, d'une attitude, au cours d'une conversation généralement banale, dans des circonstances ordinaires. Dans les romans, mais peut-être encore plus dans les pièces de Sarraute, ce sont sous les propos en apparence les plus creux que la complexité humaine se révèle. Mais aussi l'incommunicabilité entre les êtres.

Trois petits mots qui changent tout

Dans Pour un oui ou pour un non, deux hommes, H1 et H2, vont justement remettre en question leur amitié de longue date en raison de trois petits mots, prononcés par l'un avec une certaine intonation...

«Ce qui est fascinant dans ce texte, explique la metteure en scène et comédienne Christiane Pasquier, c'est qu'il pourrait être joué par deux hommes, deux femmes, un homme et une femme, des Américains, des Africains, des collègues de travail... et qu'en même temps, c'est peut-être tout simplement le dialogue intérieur d'une seule personne, ce dialogue qu'on tient tous dans notre tête, tout le temps: on se repasse une conversation, on imagine ce qu'on aurait dû dire, on digresse, on ressasse...»

«À mon avis, reprend la comédienne qui avait aussi mis en scène Elle est là de Sarraute (en 2003 à Espace Go), l'écriture de Nathalie Sarraute est au plus près de la sensation, du ressenti. Pas de l'émotion, mais vraiment de nos cellules, de l'infiniment petit, des plus minimes pulsions. Dans ses dialogues, elle traite de la relation à l'autre, mais surtout de ce qui peut nous attaquer très intimement dans un échange verbal. Même entre amis, entre proches... Surtout entre amis ou proches.»

De la réalité à la scène

Il se trouve que les personnages de H1 et H2 seront joués par deux amis dans la vie, les comédiens Marc Béland et Vincent Magnat (Béland avait d'ailleurs dirigé Magnat dans la pièce solo Monsieur Malaussène au théâtre). Les liens ne s'arrêtent pas là: Pasquier, Béland et Magnat ont tous trois vu la production française de 1999 de la pièce, dans le cadre du FTA; Béland et Magnat ont suivi l'atelier de jeu donné par Pasquier autour du texte de Pour un oui ou pour un non il y a quelques années; en 2011, ils ont mis en lecture la pièce pendant le Festival international de littérature (FIL). Enfin, cette année, dans une production du théâtre Galiléo, ils la présentent en chair et en mots, en images animées (de l'incroyable Thomas Corriveau) et en musique (de l'étonnant Jean Derôme): pour souligner le côté parfois grave, parfois bouffon du texte - on évacue hélas si souvent l'humour de Sarraute... - un basson et un cor anglais devraient souligner certains traits entre H1 et H2. Tant les images que les sons seront en quelque sorte des échos du dialogue entre les deux amis.

«Parfois, avec les mots, on évite de parler, paradoxalement, dit le comédien Marc Béland. On s'abstient d'aborder certains sujets pour ne pas ouvrir de dossiers qui mettraient en péril une relation - mais qu'arrive-t-il si on les aborde, surtout s'ils semblent anodins? L'écriture de Sarraute est très formelle, très ciselée, mais aussi très, très humaine, à cet égard, on peut tous se reconnaître dans ce dialogue, se souvenir même de moments précis de nos vies.»

«En fait, constate le comédien Vincent Magnat, la seule chose sur laquelle s'entendent les deux personnages de la pièce, c'est qu'ils n'ont rien pour s'entendre! Mais n'est-ce pas vrai de nous tous, d'une certaine manière? Chacun d'entre nous est lui-même fait de personnages qui ne s'entendent pas, a priori. Ça prend presque toujours des allures banales, ces échanges, mais c'est pourtant fondamental. Ce n'est rien, mais c'est tout!»

Pour un oui ou pour un non de Nathalie Sarraute, une production du théâtre Galiléo au théâtre Prospero, du 15 janvier au 9 février 2013. Informations: theatreprospero.com