Le théâtre est parfois un métier périlleux pour les acteurs. Étienne Pilon en porte visiblement les marques... Le jour de l'entrevue, le comédien avait de grosses ecchymoses brunâtres et bleuâtres sur les bras; stigmates des répétitions pour son prochain rôle: Frankenstein.

On comprend maintenant pourquoi ses collègues le qualifient de «bourreau de travail» !

«Il faut que je sois en grande forme physique et que je m'entraîne chaque jour, pour éviter les blessures», dit-il, à propos de cette adaptation théâtrale de l'oeuvre de Mary Shelley (Pilon va jouer Frankenstein d'abord au Trident à Québec, dès le 15 janvier, puis au Théâtre Denise-Pelletier, en mars prochain.) Il va défendre, en alternance avec Christian Michaud, le rôle de la créature rejetée et aussi celui du Dr Victor Frankenstein!

Enfant élevé entre deux soeurs par des parents qui travaillent dans le milieu de la santé, à Granby, le jeune Étienne était très timide et réservé. Or, il aimait déjà inventer des histoires et se mettre en représentation. Il officiait même la messe dans le salon pour sa grand-mère malade qui ne pouvait sortir de la maison, prenant un drap pour en faire une aube et une chasuble, et des chips pour servir d'hosties! Heureusement pour nous, sa vocation l'a plutôt dirigé vers le théâtre.

Depuis ses débuts, Étienne Pilon a cumulé les personnages intenses. Grand, mince, avec un beau regard profond, l'acteur de 32 ans dégage indéniablement une image de gars sensible et ténébreux. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. «On fait appel à mon frère pour jouer surtout des personnages troubles et tourmentés, sur le fil du rasoir. Or, dans la vie c'est un gars très zen et «groundé»; pas du tout torturé», nuance sa soeur, la recherchiste Esther Pilon.

Reste que sur scène, Étienne Pilon incarne souvent des écorchés, des personnages qui se déchirent le coeur, les tripes et l'âme. De son rôle-titre dans Bob (la pièce fleuve de quatre heures, signée René-Daniel Dubois) à Liam, le délinquant d'Orphelins, qui lui a valu une pléthore de critiques élogieuses, en passant par Nathan, le grand brûlé dans la pièce éponyme d'Emmanuel Schwartz, présentée au dernier Festival TransAmériques. Le facteur intensité traverse son parcours et son C.V.

Le beau risque

«C'est vrai que j'aime les rôles casse-cou, dit-il. Je n'ai pas peur de l'espèce de vertige qui vient avec ce genre de projet. Même si, chaque fois, je me demande si je vais être à la hauteur.»

Et il l'est. Toujours bouleversant de prodige et de justesse. Étienne Pilon est l'un des interprètes les plus doués et redoutables de sa génération. Un acteur qui ne refuse jamais le défi d'un projet fou et risqué. On l'a d'ailleurs comparé à quelques reprises au jeune Lothaire Bluteau, à l'époque où ce dernier brillait dans une autre pièce de Dubois, Being at Home with Claude.

Humble, il ne se donne pas d'autre mérite que celui de travailler fort, avec acharnement; en plus d'aimer collaborer à des créations, avec tout ce que cela implique de sueur, de questionnements et, parfois, d'imperfections.

«Outre l'aspect défi, c'est important que le texte soit porteur, que son sujet me touche avant de vouloir le partager, ajoute l'acteur. Si je fais ce métier-là, c'est aussi parce que le théâtre raconte des histoires humaines qui aident d'autres humains. Du moins, je crois qu'une pièce peut encore nous faire réfléchir en rentrant à la maison.

«Je ne veux pas être intense simplement pour être intense. Je n'ai pas encore été appelé pour faire du théâtre d'été... mais j'aimerais ça!», conclut-il. Question de prouver qu'il est capable de sortir de son casting ténébreux. Mais aussi qu'il a bien les deux pieds sur terre. Car, au Québec, un acteur doit pouvoir tout faire dans ce métier.