La méditation autobiographique de Mani Soleymanlou aurait pu n'être qu'un autre spectacle sur l'identité. Son parcours aurait été une justification bien suffisante: il est né en Iran, a grandi à Paris, à Toronto et à Ottawa avant d'aboutir à Montréal. L'acteur remarqué chez Poissant et Denoncourt fait bien mieux: il transforme sa trajectoire en une divertissante épopée intime qui se balance brillamment entre gravité et autodérision.

Parti très tôt de l'Iran, pays natal et pays perdu, il est vite forcé d'admettre qu'il en connaît peu la culture, si ce n'est qu'à travers ses plats en sauce délicieusement parfumés. Le point d'ancrage de son texte se trouve d'ailleurs là: est-il de ce pays qu'on lui a arraché ou d'ici, pays indécis où on lui dit qu'il est québécois, mais où il ne s'est jamais senti autant comme un gars d'ailleurs?

Mani Soleymanlou ne crache pas dans la soupe. Seulement, il pose un regard franc sur sa terre d'accueil comme sur cet Iran qu'il raconte avec tendresse et colère. Avec un extraordinaire sens de la comédie aussi. L'acteur creuse son déchirement identitaire sans s'apitoyer sur son sort: il ne cherche pas à nous émouvoir, mais d'abord à être entendu.

Dès son entrée en scène, décalée et très drôle, l'envie de jouer avec les ficelles du théâtre est manifeste. Le jeune comédien (aussi co-metteur en scène de son spectacle avec Alice Ronfard) prend notamment un plaisir malin à désamorcer plusieurs scènes potentiellement larmoyantes en les soulignant ironiquement par un piano nostalgique qu'il balaie de la main pour passer à autre chose. Par un effet de contrepoids habilement calculé, ce petit jeu décontracté donne de l'importance aux moments graves.

Il pose en effet un regard courroucé sur l'histoire d'un pays volé à ses citoyens, tantôt à la botte des Américains et des Britanniques, tantôt sous le voile noir du régime islamique de Khomeini et maintenant d'Ahmadinejad. Néanmoins, il parle avec affection de ce peuple qui est sorti dans la rue pour dire sa colère au lendemain des élections controversées de 2009 et qui a payé cette audace de son sang...

Habilement cousus dans une mécanique théâtrale exploitée à bon escient, le récit et la réflexion de Mani Soleymanlou nous tiennent en haleine. Sa plume transmet avec limpidité des sentiments pourtant ambivalents au sujet de ses racines, de son «moi» d'ici et de son «moi» de là-bas, du vide qui fait le pont entre les deux et qu'il apprivoise encore.

En parlant de sa relation avec l'Iran, Mani Soleymanlou ne parle pas seulement de son identité, mais aussi de la nôtre. De citoyenneté, d'espoir et aussi de l'état de l'humanité: des millions de gens de nos jours vivent arrachés aux pays qui les ont vus naître pour échapper à la guerre ou à des régimes oppressifs, alors que le reste du monde observe leur mouvement du coin de l'oeil.

Un est un texte important dans un pays comme le nôtre qui dit vouloir tendre les bras aux exilés. Et c'est un spectacle qui rappelle combien le théâtre devient essentiel lorsqu'il porte une parole forte qui ose vraiment regarder le monde en pleine face.

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Jusqu'au 1er décembre au Théâtre La Chapelle.