À 30 ans, l'âge où les auteurs naissent à peine, Simon Boulerice compte déjà une production volumineuse faite de neuf pièces de théâtre, d'un spectacle solo dansant dont il est l'interprète, de deux recueils de poésie et de deux romans dont Javotte, version réjouissante pour adultes de la méchante soeur de Cendrillon. Auteur prolifique, Boulerice est un feu roulant d'histoires cruelles et tordues et une des voix les plus originales de sa génération.

Simon Boulerice vit à Saint-Henri dans un triplex, coincé en sandwich entre ses parents au rez-de-chaussée et sa soeur au troisième, et il adore ça. Mais lorsqu'on entre dans son logement éclaboussé de couleurs primaires et croulant sous les livres et les dessins, on sent la nette présence d'un enfant, même si ce dernier manque à l'appel. En réalité, l'enfant en résidence ici n'est nul autre que Simon Boulerice lui-même. Malgré ses 30 ans, ses grosses lunettes d'écaille, ses cheveux en bataille, sa nature un peu nerdy, sa fréquentation assidue des théâtres, son homosexualité fièrement assumée, Simon Boulerice est un enfant: un grand enfant pas comme les autres.

Accepté en interprétation à l'option théâtre de Sainte-Thérèse au milieu des années 2000, Simon Boulerice s'est souvent fait reprocher par ses profs ses maniérismes d'enfant. Boulerice a tenté de corriger le tir. En vain. Même en baissant sa voix de plusieurs octaves et en cherchant à canaliser son énergie, il demeurait cet éternel enfant enjoué, exubérant, attiré par les couleurs vives et fasciné par les jouets. Finalement, c'est Jean Cocteau qui l'a sauvé avec une citation: ce qu'on te reproche, cultive-le.

La citation est devenue sa devise et un passeport pour s'imposer sur scène, notamment avec un spectacle solo, Simon a toujours aimé danser, qui lui a valu le prix de la création au festival Fringe et des invitations à tourner en France et en Afrique. Depuis, Simon Boulerice n'en fait qu'à sa tête, pour notre plus grand bonheur.

Assis à la table rouge en formica devant quatre masques vénitiens accrochés comme des manteaux à un support mural et une photo de mariage surannée de ses grands-parents, Simon Boulerice me raconte sa drôle de vie. Il est né à Saint-Rémi-de-Napierville et a grandi dans le club vidéo de ses parents en récitant par coeur les répliques de Pretty Woman, qu'il a dû voir 202 fois.

«J'ai appris la fiction à travers les blockbusters du cinéma américain. Quand Pretty Woman est sorti en VHS, mes parents ont fait une vitrine avec 26 copies. J'ai pensé qu'il s'agissait du plus grand film de tous les temps. J'avais à peine 10 ans, je ne comprenais rien à la prostitution. Je prenais les condoms dans le film pour des bonbons et je trouvais tout ça merveilleux!»

Littérature et déménagement

Adolescent tranquille, plombé par une voix nasillarde et un corps de petit gros, Boulerice a connu les moqueries, la solitude et l'exclusion. Il s'est vengé en se réfugiant dans son imaginaire foisonnant et en regardant des films français. De son secondaire calamiteux, il ne garde que deux bons souvenirs: son amitié improbable avec le lutteur Georges St-Pierre et ses cours avec l'auteur Serge Boucher, qui enseignait encore à l'époque malgré ses succès au théâtre avec Motel Hélène et 24 poses.

«À ce moment-là de ma vie, je ne voulais rien de spécial, sinon d'être bon à l'école. Serge Boucher m'a fait comprendre que j'avais du talent. Un jour, il m'a mis une note de 99% pour un texte, chose qu'il n'avait jamais faite avant pour personne. Moi, quand on m'encourage et qu'on m'aime, je donne tout. À cause de Serge, j'ai décidé d'aller en littérature au cégep Saint-Laurent. J'ai quitté Saint-Rémi et mes parents pour Montréal. J'avais 17 ans, j'étais coincé, mal dans ma peau, encore chaste, mais la vie s'ouvrait à moi.»

Deux ans à Saint-Laurent puis deux autres années à l'UQAM ont convaincu Boulerice que ce qui l'intéressait n'était pas tant la littérature qu'écrire et... jouer. Il avait déjà dans sa tête tout un univers obsessionnel tournant autour de la beauté physique, de l'éveil sexuel et de la cruauté des enfants. Les personnages qu'il imaginait étaient souvent des jeunes filles mal dans leur corps, fantasmant sur les images iconiques de Jayne Mansfield, de Whitney Houston, de Mariah Carey et de Marilyn Monroe.

En 2009, deux ans après avoir obtenu sa promotion de Sainte-Thérèse, cet incorrigible touche-à-tout qui déjà dansait, chantait, jouait la comédie et écrivait pour le théâtre, publie coup sur coup un recueil de poésie - Saigner des dents - et son premier roman, Les Jérémiades.

Éloge de la méchanceté

Décrit comme l'autopsie de la passion dévorante d'un enfant de 9 ans pour un ado roux de 15 ans, Les Jérémiades a été salué par la critique, charmée par cette voix authentique qui osait le pathétique et le tragicomique tout en exprimant un touchant désarroi adolescent.

Pour Javotte, son deuxième roman, l'inspiration est venue à Boulerice à Strasbourg pendant une représentation pour enfants de l'opéra Cendrillon. «Lorsque la belle et parfaite Cendrillon était en scène, j'ai remarqué que les enfants s'ennuyaient à mort. Mais dès qu'Anastasie et Javotte, ses demi-soeurs moches et méchantes arrivaient, les enfants s'amusaient comme des petits fous. J'ai vu qu'il y avait là un filon intéressant.»

Même si Javotte existait avant Simon Boulerice, elle est un personnage typiquement boulericien: méchante et cruelle parce qu'elle est profondément malheureuse, multipliant les coups bas envers sa soeur Anastasie et surtout, Carolanne, la reine du secondaire, animée par la vengeance et par une sexualité débridée dénuée de toute culpabilité.

«La sexualité, dit-il, ça fait partie de la vie. Je ne vois pas pourquoi on fermerait la porte à cette dimension ni pourquoi on la cacherait. Dans mon prochain roman, qui sera pour ados et qui portera sur l'anorexie masculine, le jeune héros se masturbe dans sa douche, mais comme il est écolo, il coupe l'eau. Le titre de travail est Jeanne Moreau a le sourire à l'envers, la bouche de Jeanne Moreau étant pour moi l'image même de la tristesse.»

Sans doute parce que la différence est depuis longtemps la trame narrative de sa vie, Boulerice déteste par-dessus tout la normalité, avec ses carcans et ses interdits. À l'inverse, ce qui le charme, le séduit, le fait fondre, c'est l'empathie. La faculté de se mettre à la place de l'autre est à ses yeux une valeur essentielle, voire l'essence même de l'humanité. Et pour cause. Toute sa courte vie, Simon Boulerice s'est mis dans la peau des autres, cherchant à les comprendre plutôt qu'à les juger. Certains y verront peut-être une faiblesse de caractère. Les autres comprendront qu'il s'agit de la marque d'un vrai écrivain et d'un grand enfant qu'on aurait tort de vouloir corriger.

Les coups de coeur de Simon Boulerice

1) AU CINÉMA

Pretty Woman, le premier film marquant qu'il a vu et dont il connaît par coeur toutes les répliques. Ma vie en rose pour son ode à la différence et Le goût des autres, parce que voir un industriel pleurer et s'ouvrir à l'art l'a bouleversé.

2) AU THÉÂTRE

Les grandes chaleurs, sa première pièce de théâtre et la première fois qu'il a vu un acteur - Vincent Graton - tout nu. Je suis une mouette, non ce n'est pas ça, pour la tirade d'Annick Bergeron sur l'injustice de la beauté.

3) EN LITTÉRATURE

Violette Leduc, qui lui a donné la permission de tout dire. Gabrielle Roy pour sa pudeur et Michael Delisle qui écrit comme il voudrait écrire.

4) EN MUSIQUE

La voix de Whitney Houston, qu'il a longtemps considérée comme la plus belle voix au monde. À 10 ans, il a voulu joindre la chanteuse pour chanter en duo avec elle. Sans succès.