Patrice Chéreau arrive dans la pénombre, pieds nus, un texte à la main, sur la scène totalement dépouillée du Théâtre du Nouveau Monde. D'une voix monocorde, à la diction hachurée, il étire chaque mot de l'oeuvre de Pierre Guyotat. Comme si chaque phrase de ce texte paru en 2006 lui brûlait la bouche.

L'acteur bouge peu, mais sa gestuelle est précise, lente (il a été dirigé par le chorégraphe Thierry Thieû Niang).

Soyez avertis: cela étonne de voir jouer Chéreau dans un si grand dépouillement, une telle économie d'effets scéniques,lui qui a monté des opéras grandioses à Bayreuth et marqué l'avant-garde théâtrale parisienne dans les années 80. Mais l'homme de théâtre a aussi fréquenté Koltès et fouillé l'intelligence du texte, pour faire «surgir la pensée enfouie dans l'ombre».

Et la pensée est source de lumière.

Il faut dire que Coma est une pièce sombre. Très sombre. Le récit de la traversée du désert de la maladie mentale de Pierre Guyotat véritable survivant d'une dépression majeure. Dans ce texte, l'auteur se raconte de façon elliptique, avec une troublante impudeur. Comme guidé par cette lucidité qui se cache au plus profond de la maladie. Cette hyper-conscience qui est le fruit de la souffrance et des médicaments (jusqu'à 100 cachets par jour!). Et qui l'a éloigné de la réalité des êtres et des choses, au point de ne plus se reconnaître lui-même.

Le génie de Chéreau

Alors, on comprend tout le génie de Patrice Chéreau. L'acteur, l'homme de théâtre et le metteur en scène s'effacent pour décortiquer chaque mot, les faire résonner dans sa cage thoracique, pour laisser toute la place à l'auteur-narrateur. À son drame.

La langue étant son seul moyen pour déchirer le voile épais de la dépression qui lui masque la beauté du monde... Guyotat finira par guérir. À force de patience et de détermination. Il faut voir (et surtout entendre) Chéreau raconter lorsque Guyotat s'éveille péniblement de son coma, en réadaptation à l'hôpital, et qu'il reprend force au son des vers de Mallarmé.

Pour la première fois à Montréal, Patrice Chéreau donne une oeuvre exigeante, proche de l'art brut, mais qui est une ode au pouvoir des mots. «Ce qui est fascinant chez les grands artistes, c'est leur puissance de concentration», disait Glenn Gould. Patrice Chéreau livre un travail rigoureux sur la transmission de la parole. Et la guérison de l'âme.

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Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 4 novembre. Rencontre avec Patrice Chéreau animée par Lorraine Pintal, jeudi, à 11h30, au TNM.