Il y a plusieurs façons d'abdiquer. Ce n'est qu'à la fin de la pièce Les dishwasheurs qu'on se fait asséner cette douloureuse vérité, qui nous laisse perdus dans nos réflexions. Auparavant, nous aurons pris un étonnant détour dans les coulisses d'un grand restaurant, chez les laveurs de vaisselle, pour une brillante illustration des classes sociales et d'une certaine philosophie du travail.

Pour Emmett (Stéphane Crête), jeune homme d'affaires ruiné, on ne peut pas tomber plus bas que de laver la vaisselle dans un chic restaurant où l'on avait l'habitude de manger. Pour Dressler (François Papineau), on ne peut pas trouver meilleur accomplissement. Les deux hommes ont des visions diamétralement opposées du statut de dishwasheur.

La pièce s'ouvre, dans l'impressionnant dispositif scénique des Ateliers Jean-Brillant, sur Dressler qui lave la vaisselle à un rythme d'enfer, mais avec le sourire. Pendant un long moment, on ne peut qu'admirer sa dextérité, il fonctionne comme une machine et il est fier de fonctionner ainsi. Il n'a d'autre ambition dans la vie que d'en faire peu, «mais à la perfection».

D'ailleurs, l'ambition, il s'en méfie, car pour lui, il n'y a que le travail et la mort; ce qu'il y a entre les deux est une insignifiance. Emmett tentera de le convaincre du misérable de sa situation, de l'importance d'avoir des rêves et de faire valoir ses droits. Leur champ de bataille n'est pas tant la vaisselle que Moss (Jacques L'Heureux), un vieil homme au bord de la mort, qui n'a rien fait d'autre que travailler dans sa vie, et qui pourrait bien basculer dans un camp ou dans l'autre selon les arguments.

Découvrir la sagesse

Dressler ne pourrait être qu'un fabuleux spécimen d'aliénation totale au travail si, à mesure qu'on avance dans la pièce, on ne se surprenait pas à lui découvrir une réelle sagesse. Car qui, au final, est le plus heureux? Dressler qui se contente de ce qu'il a, comme un Diogène du prolétariat, ou Emmett, qui sera toujours insatisfait, même dans la réussite qu'il convoite surtout pour maintenir son standing auprès de gens qu'il méprise? Reste à savoir qui se fera vraiment «laver»....

Les dishwasheurs, une fable drôle et mordante de Morris Panych, très bien adaptée et mise en scène par Stéphane Demers pour le collectif Momentum, est portée à bout de bras par trois comédiens parfaits dans leurs rôles. La force brute de François Papineau rencontre le côté dandy de Stéphane Crête, tandis que Jacques L'Heureux est carrément méconnaissable. L'affrontement est fascinant, et la leçon, décapante.

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Les dishwasheurs de Morris Panych, adaptation de Stéphane Demers pour Momentum, jusqu'au 20 octobre aux Ateliers Jean-Brillant.