La chorégraphe québécoise Menka Nagrani présentera le 7 juin prochain sa pièce Pharmakon au Festival Art et déchirure de Rouen. La Presse a assisté à l'une des dernières répétitions de la troupe avant son départ pour la France.

Créée l'an dernier au Gesù dans le cadre de la série Corps-Atypik, cette pièce très inspirante, qui mêle théâtre physique et danse, a été écrite par l'auteur et comédien Alexis Martin, à la demande de la chorégraphe et metteure en scène Menka Nagrani. Elle aborde la question de notre consommation de médicaments.

Le résultat est stupéfiant. Alexis Martin y fait ressortir la double nature du médicament, à la fois remède et poison. Le dramaturge s'interroge aussi sur la valeur des mots «compassion» et «amour», dans une société où malades et autres amputés du coeur sont de plus en plus isolés. Où tous ceux qui n'entrent pas dans le moule (on en connaît tous) sont marginalisés.

L'originalité de cette petite troupe (Des pieds et des mains) est qu'elle réunit sur scène des acteurs et des danseurs professionnels, et des interprètes handicapés formés à l'école Les Muses. C'est ainsi qu'on retrouvera, outre Menka Nagrani, Alexandre L'Heureux et Caroline Gravel, trois interprètes trisomiques ou souffrant d'une déficience intellectuelle: Marc Barakat, Jean-François Huppé et Carl Hennebert Faulkner.

Ce mélange donne un sens profond au texte d'Alexis Martin, qui pose des questions extrêmement pertinentes. Qu'est-ce que la normalité? Suis-je moi-même quand je prends un médicament? Suis-je un autre? «Ce que je trouve passionnant dans la proposition de Menka, dit l'auteur, c'est que les personnes handicapées sont celles qui sortent de la norme. Mais est-ce qu'elles sont malades ou juste différentes?»

Jamais on ne se dit: tiens, voici des artistes handicapés sur scène. La proposition artistique de Menka Nagrani, assez ludique par moments, forme un tout cohérent, semblable à un petit échantillon de notre société où, face à la prise de médicaments, nous sommes tous égaux. Et où chacun, handicapé ou non, a surtout besoin d'une bonne dose d'amour.

«La prise de médicaments est un peu une façon d'amener tout le monde à être pareil, en gérant les émotions pour ne pas qu'elles dépassent une certaine limite, dit Menka Nagrani au cours d'un entretien. Une réalité peut-être encore plus criante pour des personnes handicapées, qui n'ont pas la capacité d'être critiques face aux produits médicaux qu'on leur prescrit.»

En attendant la tournée

Cette idée d'uniformisation est formidablement bien exploitée par la chorégraphe, qui multiplie les références aux bonshommes «Playmobil», grâce à des projections d'animations de ces célèbres figurines, mais aussi dans la gestuelle saccadée et les déplacements des interprètes, qui portent aussi des masques.

La pièce pourrait être représentée dans des maisons de la culture ou dans des cégeps cette année, comme ce devait être le cas avant que la grève étudiante ne mette fin au projet. Des professeurs de philosophie se sont également inspirés de Pharmakon en soumettant à leurs élèves les nombreuses questions que soulève la pièce. Exactement ce qu'on attend du théâtre.