Le Festival TransAmériques (FTA) a le don de nous faire sortir de notre zone de confort. Cette année, Marie-Hélène Falcon a mis la main sur un des rares dramaturges irakiens, Mokhallad Rasem, un jeune homme de 30 ans qui a quitté son pays en 2005 pour s'établir en Belgique. La Presse lui a posé quelques questions par courriel. Voici ses réponses.

Q Parlez-nous brièvement de votre parcours d'auteur et de metteur en scène. Qu'est-ce qui vous a donné le goût de faire du théâtre?

R C'est mon père qui m'a transmis sa passion du théâtre. C'était un acteur irakien très connu et il m'emmenait souvent avec lui au théâtre ou dans les studios de télévision. Lorsque j'ai eu 15 ans, je me suis inscrit au Conservatoire de Bagdad où j'ai suivi une formation d'acteur et de metteur en scène, avant de poursuivre à l'Université de Bagdad. J'ai ensuite pu travailler au Théâtre National.

Q Parlez-nous d'Irakese Geesten. C'est votre première pièce? Qu'aviez-vous envie de dire ou de montrer?

R Mon premier spectacle en Belgique était BagdadBelgique.com. Cela a résulté sur un moment de représentation, une sorte de work in progress. Ensuite, j'ai créé Esprits irakiens, pièce dans laquelle je souhaitais m'arrêter sur les traces que laissent les périodes de conflit sur nos vies. Dans ce spectacle, les vies et les existences rêvées des différents personnages s'entrecroisent. Ainsi, fait-on l'expérience de la réalité derrière l'irréel: les variations, la peur, les expériences chimériques, les atrocités quotidiennes auxquelles on ne s'habitue jamais.

Q Pourquoi avoir choisi la musique de Nirvana comme trame musicale?

R J'ai entendu pour la première fois Smells Like Teen Spirit dans la voiture, pendant la guerre. Son rythme, je pouvais le ressentir dans ce qui m'entourait. Ça évoque des personnes qui veulent changer les choses. Crier afin d'évacuer la douleur. Ce n'est qu'après avoir choisi ce morceau que j'ai appris que c'était un titre de Nirvana, un groupe américain célèbre.

Q Les comédiens sont irakiens et allemands? Pourquoi? Comment communiquent-ils sur scène? Quels sont les grands axes de votre mise en scène?

R Il y a trois acteurs irakiens qui s'inspirent de leur propre histoire durant la guerre en Irak. En contraste, j'ai voulu placer deux actrices allemandes. Sur scène, nous communiquons de différentes manières, grâce à la langue, aux images, aux corps. Je travaille en fait de manière fragmentaire et toujours à la recherche de la frontière entre réalité et fantaisie.

Q Est-il possible pour un auteur irakien (ou du monde arabe en général) de faire abstraction des guerres et des exils? Ou êtes-vous condamnés à les inclure dans votre oeuvre?

R La guerre n'est jamais bien loin. Elle s'infiltre dans vos pensées, dans votre corps. J'appréhende la guerre comme une façon d'être. Cela m'inspire. Mais toutes mes oeuvres ne traitent pas de la guerre. Cela dépend si la pièce nécessite une référence à des thèmes belliqueux. Cela dit, en 2013, je créerai Roméo et Juliette; ce spectacle se déroulera dans un contexte violent.

Q Qu'ont à dire les jeunes Irakiens d'aujourd'hui?

R Les jeunes Irakiens s'expriment sur tout, mais personne ne les écoute. Depuis la guerre en Irak et à cause de la dictature, ils sont à la recherche d'espoir et de stabilité. Il y a tellement de poètes qui se sont révélés à cause de la douleur et de leur vie tragique. Il y a tellement de jeunes créateurs de théâtre qui ont un message et qui veulent raconter quelque chose. Il y a tellement de musiciens qui veulent jouer avec la corde de la réalité criante. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent danser afin d'échapper au système chaotique.