L'air du temps est au débat d'idées et à la revendication. Un climat social auquel fait écho le Festival du Jamais lu, qui s'ouvre demain avec Lettres ouvertes, poings fermés, une soirée de lecture bouillonnante «que ceux qui n'aiment pas le théâtre devraient venir voir », selon son metteur en scène, le comédien Louis Champagne.

L'atmosphère était animée, mercredi après-midi, dans l'espace café du Théâtre Aux Écuries. Tout au fond, on a reconnu Pierrette Robitaille, Martin Héroux et François Chénier, sans doute attablés pour travailler sur Réveillon, pièce qu'ils joueront cet été au Théâtre des Hirondelles. Devant eux, Louis Champagne et la comédienne Madeleine Péloquin étaient tout aussi absorbés par un travail un peu plus urgent: mettre la dernière main à l'une des lectures qui composent Lettres ouvertes, poings fermés, la soirée d'ouverture du 11e Festival du Jamais lu.

«Ça me rappelle mes débuts, mes années passées à l'Espace libre, du temps de Jean-Pierre Ronfard, quand je passais mes journées là-bas», se réjouit le sympathique comédien, pendant une pause. Louis Champagne n'est pas un habitué du Théâtre Aux Écuries, mais il s'y sent visiblement comme un poisson dans l'eau. Il en aime l'énergie, le bouillonnement et la volonté de laisser la place à la spontanéité. Des caractéristiques qui collent aussi fort bien à ce créateur débrouillard.

Il oeuvre aux Écuries depuis quelques semaines déjà à l'invitation du Festival du Jamais lu, événement dédié à la mise en valeur de textes dramatiques inédits, qui lui a confié la mise en scène de la soirée d'ouverture, où seront lue des lettres écrites par six auteurs de théâtre: Normand Canac-Marquis, Anne-Marie Olivier, Justin Laramée, Marcelle Dubois, Jean-Philippe Lehoux et Julie-Anne Ranger-Beauregard.

«Je me vois comme un passeur dans ce projet-là», dit simplement l'acteur vu notamment dans Minuit, le soir.

On devine toutefois que son engagement est bien plus important que ce qu'il veut bien admettre: il a passé les dernières semaines à choisir des auteurs, des textes et à échanger des centaines de courriels avec les uns et les autres de manière à orchestrer une soirée qu'il désirait en phase avec le climat social qui prévaut au Québec depuis que des milliers d'étudiants descendent dans la rue presque tous les jours.

Il ne s'en cache pas: dès les premières rencontres avec ses six auteurs, la volonté de faire écho à ce printemps «érable» était claire chez chacun. «Ça n'a pas donné une direction aussi politique que ça dans les textes, constate-t-il toutefois. Tout est politique, ultimement, mais on est revenu à la vérité.» En prenant un chemin détourné, bien souvent: celui de la fiction.

Le moteur de la fiction

Qu'elles empruntent un ton frondeur en s'adressant directement au premier ministre ou un ton intime en creusant un drame familial, plusieurs des lettres sélectionnées affichent clairement leur caractère fictif. Ce qui n'enlève rien à leur impact. Louis Champagne estime d'ailleurs que la fiction constitue un moteur plus puissant que fait de parler directement de politique ou de faire des revendications.

Ces fictions parlent en effet du monde dans lequel on vit. De nos relations de voisinage, des liens qu'on entretient (ou non) avec nos proches, ou encore de la colère d'un agriculteur envers le pouvoir politique. Dans Je ne suis pas un terroriste, je suis un cultivateur de navets comme dans d'autres lettres, la société qui est passée au crible n'est pas seulement québécoise, elle est mondialisée. Louis Champagne est d'ailleurs fasciné par la vision du monde des jeunes auteurs auxquels il se confronte. «Leur écriture est bouillonnante et pleine d'intelligence, dit-il. Je n'ai pas le souvenir que, quand je suis sorti de l'école, on était aussi au courant et aussi politisés.»

«Il y a beaucoup d'électricité dans l'air en ce moment et il y en aura beaucoup dans la salle demain», prévoit l'acteur. Les gens ont besoin de dire des choses et d'entendre ce genre de discours, selon lui. «J'ai entendu beaucoup de penseurs ces derniers temps, les artistes aussi doivent prendre la parole et ne pas avoir peur de dire des choses, juge-t-il. En touchant les gens, on se sent moins seul.» Louis Champagne ne souhaite pas seulement émouvoir, il veut brasser les choses et amener de l'eau au moulin des débats qui animent le Québec.

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Lettres ouvertes, poings fermés, vendredi 20h, au Théâtre Aux Écuries.