Il a choqué autant qu'il a fait rire avec Scotstown. Fabien Cloutier est de retour avec Billy (Les jours de hurlement), un texte aussi brut et chargé où il est question de déresponsabilisation collective. Ça risque de barder.

«On ne peut plus faire du théâtre qui ne sert à rien ou qui n'essaie même pas de servir à quelque chose», estime Fabien Cloutier. Que des créateurs qui montent une pièce en costumes en faisant des liens avec le Printemps arabe sur l'heure du midi ou la téléréalité lui importe peu. Il faut que ça résonne sur scène. Sans que le spectateur ait à lire le programme au préalable.

Fabien Cloutier, auteur de Scotstown et Cranbourne, fait un théâtre au ton direct, dans une langue rêche, parfois carrément vulgaire. Drôle aussi. Ses personnages donnent l'impression de vivre dans un monde où la rectitude politique n'existe pas. D'où le malaise ou même l'indignation que leurs paroles peuvent susciter.

«J'aime rester dans cette zone grise», dit le dramaturge, même s'il se sent parfois comme Mononc' Serge face à des admirateurs qui ne voient pas le deuxième degré dans ses chansons. Fabien Cloutier a une vision claire de ce qu'il fait: il ne veut pas mettre en scène des conflits, il veut susciter le débat chez le spectateur lui-même.

Scotstown, jouée à La Licorne en 2009, mettait en scène un personnage plein de préjugés qui forçait le spectateur à interroger les siens. Billy (Les jours de hurlement) s'appuie sur une logique semblable. «La confrontation d'idées sur scène est intéressante, reconnaît-il, mais voir des gens se conforter dans leurs opinions sur scène peut faire que c'est le spectateur qui se sent confronté.»

Enragés ordinaires

Pièce à trois personnages, Billy raconte une mauvaise journée. Un jour où chacun semble s'être levé du mauvais pied et décide que, aujourd'hui, ça suffit: assez des cyclistes dans les tempêtes de neige, assez des deux gros BS qui ne s'occupent pas de leur petit garçon, assez de l'absurde bureaucratie du «ce n'est pas dans ma définition de tâche».

Fabien Cloutier a entrelacé les monologues de ces trois enragés dans une partition musicale qui évoque certaines pièces de Michel Tremblay ou Jean-Marc Dalpé. «J'ai écrit le texte en l'entendant, jamais en le voyant. Je ne me suis jamais demandé comment ça pourrait se faire sur scène, avoue-t-il. Je laisse le problème au metteur en scène.»

Celui qui doit résoudre le «problème», ici, c'est Sylvain Bélanger, du Théâtre du Grand Jour. C'est d'ailleurs à son invitation que Fabien Cloutier a écrit ce texte où il devait être question de l'immobilisme de la société.

L'une des pistes explorées dans la pièce est la déresponsabilisation collective. Les trois personnages qu'elle met en scène (interprétés par Louise Bombardier, Guillaume Cyr et Catherine Larochelle) jugent qu'ils ne sont jamais à la source du problème. «Je pense que c'est l'un des problèmes de notre société: peu importe les opinions, j'ai l'impression que chacun se place au-dessus des autres comme s'il était détenteur de la vérité», expose l'auteur.

Fabien Cloutier ajoute d'emblée qu'il tente de ne pas céder à la même tentation lorsqu'il prend la plume. «J'essaie d'éviter de me servir de ma pièce pour dire ce que je pense ou ce que les gens devraient penser», dit-il. De même, il cherche à mettre dans la bouche de ses personnages ce qu'ils ont envie de dire et non ce qu'ils devraient dire. Au spectateur, le soin de les juger. Ou de s'y reconnaître.

L'urgence d'être utile

Le genre de conflit qui intéresse Fabien Cloutier se trouve dans le décalage entre la vision du monde présentée sur scène et celle du spectateur, entre idéaux et gestes faits, entre l'image qu'on a de nous-mêmes et ce en quoi on se reconnaît. Ce miroir tendu au public, c'est sa manière à lui de faire oeuvre utile. «On ne peut plus faire du théâtre qui ne sert à rien», insiste-t-il.

Pourquoi? Parce qu'il voit bien qu'il se passe «quelque chose» dans la rue depuis des semaines. «J'ai hâte de voir comment ça va finir ce printemps qu'on semble vivre. J'ai hâte de voir si on va dépasser le stade de la colère, précise-t-il, si ça va se transformer en action concrète, parce que l'engagement Facebook, je commence à en avoir plein mon casque.»

Fabien Cloutier, qui raconte avoir été «gazé et poivré» au Sommet des Amériques en 2001, trouve que le temps passé à exprimer ses opinions sur l'internet devrait plutôt être utilisé à poser des gestes concrets. «Je ne suis pas encore convaincu qu'on vit un moment charnière de notre histoire, dit-il. Tout reste encore à faire.»

Billy (Les jours de hurlement), du 30 avril au 18 mai à La Licorne.