On le sait, l'une des premières versions de ce conte, celle imaginée par Charles Perrault, était assez brutale. Le petit chaperon rouge s'engage dans la forêt, croise le loup, lui parle et lui dit exactement où se trouve la maison de sa grand-mère. Résultat: la grand-mère se fait bouffer. Le petit chaperon rouge aussi. Point barre. Pas de chasseur pour les sauver. Tant pis pour eux et pour les parents de la petite, fallait pas parler aux étrangers.

Les versions qui ont suivi, la plus répandue étant celle des frères Grimm, ont toutes été édulcorées. Le chasseur ouvre le ventre du loup et sauve la grand-mère et le petit chaperon rouge. Dans certaines versions, la petite fille déjoue même le loup et le tue. Bref, on n'a pas fini de disséquer ce conte vieux comme le monde, tantôt métaphore du passage à l'âge adulte, tantôt symbole du désir sexuel.

L'adaptation de David-Alexandre Després et Jean-François Nadeau est assez troublante. D'abord, la petite équipe de création a eu la brillante idée de créer une ambiance nocturne, une façon de nous faire entrer dans cette forêt touffue où le drame du chaperon rouge se joue. On nous accueille donc à 22h30 avec du vin et des galettes, puis on s'installe dans la nouvelle petite salle d'Espace libre, dans un éclairage rouge vermeille, et on attend dans un certain suspense...

La pièce, qui contient très peu de dialogues, a été construite en plusieurs tableaux, plusieurs saynètes reliées les unes aux autres. On nous présente ainsi une vieille femme qui peine à se déplacer dans son appartement (la grand-mère), sa fille Danielle, mariée à un dénommé Claude, et leur petite fille Marguerite (le petit chaperon rouge) - que l'on verra grandir sous nos yeux, jusqu'à ce qu'elle soit assez grande pour aller porter à sa grand-mère... une crème pour sa vaginite!

Le loup est quant à lui incarné par le personnage de Jeannot, pauvre type qui travaille dans une pizzeria, à la prise de commandes et à la livraison, et qui se fait traiter de «fif» par un collègue. Le jeune homme, qu'on devine seul et sexuellement refoulé, se trouve à être le voisin de cette petite famille. Tous les personnages sont interprétés par David-Alexandre Després et Jean-François Nadeau, un tour de force pour ces deux comédiens doués, qui y vont aussi de savants bruitages.

Les auteurs et comédiens ont choisi de nous montrer la solitude des personnages, un des thèmes les plus souvent abordés au théâtre cette année. La solitude du jeune homme, bien sûr, qui sera le prédateur sexuel. Mais aussi celle de la grand-mère, isolée, qui réclame sans cesse sa fille (ou son fils?) pour des soins de base. On rit beaucoup durant ces scènes où Jean-François Nadeau fait «la vieille», mais, en vérité, c'est une représentation assez triste et juste de la réalité actuelle. D'autant plus que sa fille s'occupe d'elle à reculons, obsédée par la sécurité de sa propre fille Margo.

Théâtre de performance, de masques et d'objets, cette petite pièce est un exercice de style parfaitement réussi, qui crée des malaises énormes, surtout quand il est question de l'enfant, et ce, malgré le jeu ludique des comédiens. La pièce parvient également à nourrir notre réflexion sur nos peurs et nos paranoïas, qui sont en partie responsables de cette solitude croissante, la marque de notre société hyperindividualiste. Les auteurs font la preuve que ce conte en apparence naïf peut prendre différentes teintes de rouge.

Le chaperon est-il si rouge que ça?, à Espace libre jusqu'au 14 avril.