À l'échelle de cet artisanat qu'est le théâtre, c'est une grosse machine qui vient de débarquer à Paris. René Richard Cyr, qui en est un peu le chef d'orchestre, est arrivé depuis une semaine. Mais, en vue de la première de jeudi soir dans la plus grande salle (750 places) du Théâtre du Rond-Point, c'est hier matin que l'ensemble de la troupe de Belles-Soeurs a pris ses quartiers parisiens. Pour plus d'un mois puisque les 23 représentations s'étaleront du 8 mars au 7 avril.

En comptant les 15 comédiennes, 2 doublures, 4 musiciens et 4 techniciens, cela fait 25 personnes au total, accompagnées le plus souvent de leur famille. Tout ce monde, transporté gracieusement par Air Transat, l'un des commanditaires de l'événement, a été installé pour plus de quatre semaines dans des appartements de location, moins chers et plus conviviaux que l'hôtel.

Une petite armada qui, de l'avis même de René Richard Cyr, n'aurait jamais pu arriver jusqu'à Paris sans la contribution de mécènes, à commencer par Loto-Québec: «Le théâtre de Jean-Michel Ribes nous fait le grand honneur de nous inviter pour un mois dans sa plus grande salle et coproduit le spectacle dans des conditions normales, avec partage des recettes, dit-il. Mais il est évident que ni le Rond-Point ni aucun autre théâtre parisien ne pourraient couvrir les frais de cette production. Comme cela se pratique toujours dans le cas de troupes théâtrales venues de l'étranger, il fallait d'importantes subventions, privées en l'occurrence, pour boucler le budget. Et encore, on a travaillé à l'économie et on a fait dans le bricolage.»

Cela reste une opération d'envergure et menée avec le souci du détail. L'attachée de presse de la production, Michèle Latraverse, a eu les moyens d'amener trois journalistes (Le Nouvel Observateur, Le Figaro, L'Express) à Montréal pour qu'ils voient le spectacle à l'avance. Résultat: une pleine page dans le Figaroscope, et deux dans Le Nouvel Observateur.

Du «rédactionnel» qui vaut de l'or, même si les deux critiques ne s'aventurent pas trop à juger le spectacle lui-même et se contentent de souligner l'importance historique de la pièce de Michel Tremblay... et de faire parler le même Tremblay.

Visibilité assurée

Débarqué lui aussi à Paris il y a 24 heures, c'est le dramaturge qui, sur sa réputation bien établie dans le milieu professionnel, assure la totalité de la promotion, avec un programme très chargé à la radio et à la télévision, où il va faire une dizaine d'émissions importantes. Ajoutons à cette liste un important affichage dans le métro parisien et sur les colonnes Morris: Belles-soeurs est assuré d'une importante visibilité, ce qui n'est pas négligeable dans une ville qui propose 800 spectacles vivants chaque soir que le Bon Dieu amène.

Avec le Théâtre du Rond-Point, la compagnie B14 (créée par Tremblay, Cyr et le compositeur Daniel Bélanger pour l'exploitation de la pièce) aurait pu tomber plus mal. Le théâtre dirigé par Jean-Michel Ribes constitue un lieu culturel en perpétuelle effervescence, dont chacune des trois salles propose deux spectacles: Belles-soeurs, qui joue à 21h dans la grande salle, succédera chaque soir à Pierre Arditi, qui interprète une pièce de Jean-Claude Grumberg à 18h30.

Le Rond-Point, qui propose un cocktail bien dosé de théâtre d'auteur et de spectacles de variétés de qualité (Fred Pellerin s'y est produit), est un espace convivial où les gens viennent souper ou prendre un verre. Un tiers des billets du spectacle Belles-soeurs auraient déjà été vendus, et les premiers soirs afficheraient complet.

Le seul fait d'accéder à ce théâtre - l'un des quatre ou cinq meilleurs de Paris - est presque une garantie de succès. Mais encore fallait-il y arriver. Les tractations ont duré 18 mois. «Deux adjoints de Ribes sont venus voir la pièce à Montréal, dit Cyr. Leur avis était plus que favorable, et Ribes, qui était très pris, a tranché après avoir vu la vidéo du spectacle. Pour nous, c'était la solution idéale. Notre projet était et reste de produire Belles-soeurs à l'international. Nous avons désormais un showcase de luxe qui s'étale sur un mois entier au Rond-Point des Champs-Élysées. Le rêve!»

Petite ironie du sort: la version musicale de l'oeuvre de Tremblay débarque sur les lieux mêmes où la pièce aurait dû se produire en 1971 à l'invitation de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, qui dirigeaient le théâtre. Mais à l'époque, les subventionneurs du gouvernement du Québec avaient jugé la pièce «vulgaire» et avaient refusé leur concours. Les belles-soeurs, version théâtrale, avaient attendu jusqu'en 1973 - et une subvention du fédéral - pour se produire à quelques rues de là, à l'Espace Cardin, où le succès public avait été très honorable et la critique, dithyrambique.