Avec Musique pour Rainer Maria Rilke, l'auteur Sébastien Harrisson rend hommage aux artistes et aux lectures qui changent le cours de nos vies. Pour contribuer à faire de nous de meilleurs êtres humains.

À 16 ans, alors qu'il étudiait au Cégep de Matane, Sébastien Harrisson a lu Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. Premier (et gros) coup de coeur littéraire! Plus tard, Harrisson réalise qu'il n'est pas le seul à chérir cette lecture unique: «C'est étonnant à quel point cette courte correspondance a marqué des lecteurs de toutes les époques et de divers horizons, pas seulement des artistes ou des poètes.»

D'ailleurs, un certain Lucien Bouchard, dans un clin d'oeil à l'oeuvre de Rilke, publiera au printemps Lettres à un jeune politicien. Mais c'est d'un tout autre théâtre que traite la nouvelle pièce de Sébastien Harrisson, Musique pour Rainer Maria Rilke, qui vient de prendre l'affiche du Théâtre Denise-Pelletier, à Montréal, dans une mise en scène du très occupé Martin Faucher.

Directeur artistique d'une compagnie pour le public adolescent, le Théâtre Bluff, Sébastien Harrisson (Floes, Titanica, La robe des grands combats) a eu l'idée d'une pièce dans lequel un jeune d'aujourd'hui, Nathan, découvre les Lettres de Rilke dans la bibliothèque de sa mère. Nathan va, lui aussi, être profondément bouleversé par cette lecture. À plusieurs niveaux. En plus de l'aider à trouver sa voix, son style, ce livre servira de déclencheur à Nathan pour partir à la recherche de l'identité de son père disparu; un homme qu'il n'a jamais connu.

Constitué (principalement) de 10 textes écrits entre 1903 et 1908, Lettres à un jeune poète est autant une lecture d'apprentissage qu'une leçon de vie. Dans ces lettres, Rilke s'adresse à un étudiant militaire et apprenti poète, Franz Kappus, qui demande conseil à l'écrivain déjà célèbre. Or, comme le livre ne contient aucune des missives de Kappus, le lecteur a l'impression que les réflexions de Rilke lui sont directement adressées. «À mon avis, cela explique le succès mondial du livre depuis près d'un siècle; avec aussi les thèmes abordés et, bien sûr, l'écriture belle, vraie et simple de Rilke», note Harrisson.

À contre-courant

Et les sujets abordés dans les Lettres, quels sont-ils? La poésie et l'écriture, bien sûr, mais aussi l'amour, le couple, la mort, la (nécessaire) solitude, sans oublier l'effort et la persévérance: «Qu'une chose soit difficile doit nous être une raison de plus de l'entreprendre», écrit Rilke. «C'est à contre-courant de notre époque, remarque Harrisson. Pour nos contemporains, il est beaucoup plus facile de regarder une vidéo sur YouTube que de lire un livre. Nés avec l'internet, les jeunes veulent des réponses immédiates, des réactions instantanées. Or, au contraire, Rilke affirme qu'il faut vivre pleinement nos questions; et, surtout, faire confiance au temps.»

Rainer Maria Rilke fait donc figure de guide spirituel et artistique, de «vieux sage» bien qu'il n'ait que 28 ans (!) quand il rédige sa première réponse à Kappus (qui a 19 ans).

Au fil du temps, l'écrivain allemand ne rencontrera pas une seule fois le jeune poète en question. Ce dernier publiera une sélection de leur correspondance en 1929, trois ans après la mort de Rilke, à 51 ans. «Entre les lignes, on devine que Rilke a déjà eu les mêmes questionnements que son correspondant, estime Sébastien Harrisson. Rilke était troublé, angoissé et de santé fragile. Dans ses Lettres, le poète nous laisse voir ses doutes, ses blessures et ses contradictions: Rilke se préoccupe de Kappus comme un père avec son fils; alors que dans la vie, il a été un père absent (comme celui de Nathan dans la pièce). En Kappus, Rilke a trouvé un alter ego.»

Dans Musique pour Rainer Maria Rilke, Martin Faucher dirige une distribution éclatante: Macha Limonchik, Sophie Desmarais, Éric Paulhus, Albert Millaire (Rilke) et Maxime Charbonneau dans le rôle de l'adolescent à la recherche de ses origines. Produite par le Théâtre Bluff (dirigé par Harrisson depuis 2008), la création est présentée au Théâtre Denise-Pelletier non par hasard des disponibilités d'une salle, mais bien afin de rejoindre le public des 13 à 17 ans, la majorité des spectateurs du théâtre de Hochelaga-Maisonneuve.

Pour l'auteur de Musique... et le metteur en scène Martin Faucher, c'est important de construire des ponts entre les jeunes et le répertoire, de leur donner le goût de la lecture, de la culture théâtrale, afin de développer le public de demain.

«Les créateurs ont souvent peur du public ado, dit Harrisson. C'est vrai qu'une salle d'ados, ça peut décoiffer! C'est un public imprévisible, exigeant, et TRÈS réactif! Or, ce public pose aussi un regard neuf et généreux sur notre travail. À mon avis, chaque créateur gagnerait à travailler, au moins une fois dans sa carrière, pour un public d'adolescents.»

Pour l'instant, Sébastien Harrisson ne souhaite qu'une chose: que les spectateurs (ados ou adultes) sortent de sa pièce en ayant l'envie de lire ou relire Lettres à un jeune poète. «J'aurais gagné mon pari!»

Musique pour Rainer Maria Rilke, au Théâtre Denise-Pelletier, jusqu'au 8 février.