Chaque vie est unique, mais toutes ne méritent pas d'être données en spectacle. Celle du comédien Sasha Samar, si. Sa trajectoire proprement romanesque est racontée d'une manière superbement touchante et drôle par Olivier Kemeid, qui a écrit et mis en scène pour lui Moi, dans les ruines rouges du siècle, au Théâtre d'Aujourd'hui.

Le long titre fait référence à l'effondrement du régime soviétique, que l'acteur a vu de l'intérieur puisqu'il est né en Ukraine en 1968. Il a aussi vécu de près la catastrophe nucléaire de Tchernobyl et a fait son service militaire dans l'Armée rouge à l'époque où l'URSS était en guerre contre l'Afghanistan.

Que la trajectoire de Sasha Samar soit liée de près à l'Histoire qu'on écrit avec une majuscule contribue bien entendu à l'intérêt de la pièce. Son coeur battant, c'est toutefois la quête d'un garçon élevé par un père aimant (Robert Lalonde), qui souffre d'avoir été abandonné par sa mère (Annick Bergeron) et dont les décisions importantes ne sont motivées que par l'envie de renouer avec elle.

L'épique à échelle humaine

Olivier Kemeid parvient ici à ramener l'Histoire au niveau du quotidien à travers des références toujours bien intégrées (Brejnev, Gagarine ou ces appartements collectifs appelés kommunalka) sans jamais perdre de vue ce qui est vraiment épique et humain dans son récit: la quête de Sasha Samar pour retrouver sa mère ou, encore mieux, être retrouvé par elle.

Moi, dans les ruines rouges du siècle s'avère une oeuvre à la fois drôle et bouleversante où les ruptures de ton, nombreuses et franches, s'effectuent dans un mouvement étonnamment naturel et fluide. Détaché du réalisme pour mieux évoquer la réalité, son auteur a de plus eu la brillante idée d'intégrer un personnage d'acteur qui excelle dans le rôle de Lénine (Geoffrey Gaquère) et dont la carrière suit le destin de l'Union soviétique...

La partition pêche ici et là par excès de lyrisme (quelques coupures s'imposeraient), mais les emportements du texte sont, le plus souvent, éloquents. Parfois même justes jusque dans la caricature. Sophie Cadieux navigue d'ailleurs d'une manière particulièrement habile dans cet univers d'extrêmes.

Sasha Samar, qu'on a souvent vu dans des rôles muets ou presque, se révèle enfin pleinement et joue avec la même vérité un petit garçon de 3 ans, l'amant trompé et, bien sûr, le fils tiraillé entre la mère absente et le père aimant. Que ce spectacle raconte sa propre vie ne compte plus à la fin. C'est d'abord du théâtre. Du très bon théâtre.

Moi, dans les ruines rouges du siècle, jusqu'au 4 février au Théâtre d'Aujourd'hui.