C'est un projet théâtral à la fois audacieux, original et casse-cou qu'on peut voir sur la scène de l'Espace GO. Celui de réécrire l'Histoire à travers un personnage féminin mythique, Ana, au cours de 1300 ans, à travers des visages et des destins multiples. Ana, c'est aussi le titre de cette création bilingue coproduite par Imago, de Montréal, et Stellar Quines, d'Édimbourg; signée par le Québécois Pierre-Yves Lemieux et l'Écossaise Clare Duffy. La pièce est défendue par des interprètes écossais et québécois francophones et anglophones.

Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'auteurs et d'acteurs de langue, de culture et de pays différents que le projet est spécial; c'est plutôt par son processus de création. Le texte a été écrit à la manière d'un cadavre exquis: un auteur reprend le cours du récit là où l'autre l'a laissé. Le metteur en scène Serge Denoncourt a eu la tâche de théâtraliser cette «oeuvre collective» qui nous fait faire un véritable voyage dans le temps et l'espace.

À travers les siècles, les lieux et les événements (de la Révolution française au Québec d'aujourd'hui, en passant par l'époque flower power à Vancouver), on suit donc Ana « [...] qui n'est jamais ni tout à fait la même; ni tout à fait une autre»... Le personnage se dédouble, se multiplie et se transforme au fil des siècles: Médée, Jeanne d'Arc, sainte Thérèse d'Avila, Ana Freud et... Marylin Monroe, même combat! Car ces femmes s'interrogent toutes sur leur rapport à la maternité; le mythe à l'origine de la pièce abordant le tabou de l'infanticide.

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En l'absence de véritable fil conducteur, le processus d'écriture semble un peu lourd. Ici et là, on est happé par des scènes plus captivantes, des personnages plus incarnés (ou mieux joués) que d'autres... Mais on se demande quel est le véritable sujet d'Ana. Féminité, infanticide, infertilité, créativité, folie? Toutes ces réponses? Cette pièce «sans message» (dixit son metteur en scène) est aussi une oeuvre sans point de vue. Or, avec un propos aussi ambitieux, il faut, à notre avis, une ligne directrice et un point de vue très forts pour que ça marche.

Probablement dans le but d'éclaircir un récit alambiqué, on a ajouté un maître de piste/narrateur» (Alain Goulem) qui, en plus de jouer quelques personnages, vient résumer les enjeux... dans les deux langues officielles. (Il y aussi des surtitres. Mais, le soir de la première, ils ne fonctionnaient pas la moitié du temps...)

Reste le talent et le regard précis de Serge Denoncourt, qui sait créer des tableaux magnifiques, des images impérissables: La Liberté guidant le peuple de Delacroix, entre autres. Il est secondé par la belle lumière onirique de Martin Labrecque et le très beau décor amovible de Louise Campeau.

Mentionnons également une solide distribution qui se partage plusieurs rôles très disparates; avec des mentions à la (trop rare) Catherine Bégin et la jeune et lumineuse Magalie Lépine-Blondeau.

Ana, jusqu'au 10 décembre. À l'Espace GO. Durée 1h45 sans entracte.