On perçoit un peu (beaucoup) de l'inaccessible quête des Québécois dans le destin de Roger, le concierge-poète-raté-sympathique de HA ha!..., de Réjean Ducharme. Confortablement assis dans son La-Z-Boy, tel un gérant d'estrade se prenant pour Claude Gauvreau, Roger rêve sans cesse de réinventer le monde. Révolté, prompt à dénoncer les travers de ses proches ou de la société, il reste incapable d'agir, de partager, d'aimer.

Le TNM revisite cette pièce remarquable créée en 1978, au même endroit, par Jean-Pierre Ronfard. Et la production à l'affiche, mise en scène par Dominic Champagne, est chaotique et stupéfiante! Ce dernier ne se contente pas d'en faire une lecture politique ou nationaliste. Et c'est tant mieux. HA ha!... est quelque chose comme un ovni théâtral. L'équivalent de la «bombe» des Belles-Soeurs secouant la classe moyenne et cultivée.

Au premier plan, il y a la langue. Inventée, colorée, ludique. Ensuite, le propos. Lucide, décapant, désespéré. Ducharme nous parle, entre autres, du couple éclaté, du sport comme opium du peuple, de la dépendance affective, sexuelle, à l'alcool ou aux drogues. «Après la porno, le mélo, puis le chaos», dit Roger. En cela, l'auteur dépeint la grande aventure humaine - éternellement déchirés que nous sommes, ô mortels! entre plaisir et devoir, paix et drame, confort et anarchie.

HA ha!..., «c'est la tragédie de notre médiocrité», a dit Champagne en entrevue. Une médiocrité «sans fond». En effet, aucun des quatre personnages - deux couples qui se manipulent, se volent, se déchirent entre eux - ne peut espérer sortir du marasme dans lequel il baigne. Même la pure et naïve Mimi (interprétée avec brio par Sophie Cadieux) succombera au cynisme ambiant. Triste.

Une performance marquante

Dominic Champagne est tombé dans cette matière sulfureuse comme un ensorceleur. Par moments, sa mise en scène nous envoûte; comme si les substances toxiques que consomment les protagonistes sur scène contaminaient aussi le public! (Il y a une baisse d'énergie après l'entracte, en partie attribuable à quelques longueurs dans le texte.)

Il faut dire que Champagne dirige un quatuor d'acteurs parmi les meilleurs au Québec. Outre Sophie Cadieux, Marc Béland, qui joue Bernard l'alcoolique fini, et François Papineau (Roger) sont exceptionnels. Mais une mention spéciale va à Anne-Marie Cadieux qui incarne Sophie, la blonde de Roger. La comédienne s'abandonne avec une virtuosité et une intelligence du texte, du personnage, qu'on voit rarement au théâtre. Ici ou ailleurs. Sa prestation représente, à notre avis, l'une des plus grandes performances des 10 dernières années! Il faut remonter aux belles années de Sylvie Drapeau pour trouver l'équivalent.

Décor, lumière, costumes et musique: Champagne et ses concepteurs ont insufflé un côté cabaret grotesque et psychédélique à cette pièce assez délirante, merci. Ils ont eu la bonne idée de projeter des répliques en arrière-plan, avec de gros caractères colorés, tels des collages surréalistes. Cela nous replonge dans la langue de Ducharme. Celle par laquelle arrivent tous les délires permis.

HA ha!..., de Réjean Ducharme, au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu'au 10 décembre.