Audacieux programme à l'Espace GO avec la présentation d'Ana, coproduction Québec-Écosse, pièce bilingue (avec surtitres) coécrite par Pierre-Yves Lemieux et Clare Duffy, qui fait le récit d'une femme qui se dédouble dans le temps et dans l'espace. Six comédiennes interpréteront ainsi une douzaine d'Ana, qui se questionnent toutes sur leur rapport mère-enfant.

Le projet est né il y a trois ans à l'initative de deux compagnies de théâtre: Imago, de Montréal, et Stellar Quines, d'Édimbourg. Toutes deux ont eu envie de parler des femmes en partant du récit de la déesse Inanna, mythe sumérien qui raconte les aventures d'une femme qui voulait devenir la maîtresse des Enfers. Et qui sombrera dans une grave dépression.

Serge Denoncourt a été joint en même temps que les auteurs, de sorte que la pièce s'est écrite et montée à peu près en même temps. Inanna a servi de point de départ, mais elle a rapidement cédé sa place à d'autres femmes, qui nous font voyager dans le temps.

«Ça s'appelle Ana, ça aurait pu s'appeler Hélène, Janine ou n'importe quoi, dans le sens où on raconte des histoires de femmes, explique le metteur en scène. Des femmes différentes, mais qui traînent le passé de l'originale. On a joué au cadavre exquis, précise-t-il. La première Ana a un bébé, elle se dédouble en une Ana qui tue son bébé; le meurtre de ce bébé et l'enfantement de l'autre vont se retrouver dans les Ana subséquentes.

Toutes ces femmes, que les auteurs se sont amusés à associer à des personnages historiques, comme Médée, Jeanne d'Arc, Marilyn Monroe ou encore cette Ana Freud, ont un point commun: elles questionnent leur rapport à l'enfantement et à la maternité. Dans une forme dramatique, mais qui a aussi été écrit avec beaucoup d'humour, selon le metteur en scène.

«Le dernier tabou, à mon sens, c'est l'infanticide, estime Denoncourt. Un homme qui tue ses enfants, c'est un méchant; une femme qui tue ses enfants, c'est un monstre. C'est quelque chose qu'on ne peut pas accepter. L'instinct maternel soulève de nombreuses questions: l'envie d'avoir des enfants, l'angoisse de ne pas en avoir, l'impression de ne pas être une femme complète si tu n'en a pas, l'interdiction de haïr son enfant, etc.»

Apparaissent ainsi une succession d'Ana: Une Ana qui aime son enfant; une qui le tue; une autre qui vit de culpabilité en entendant le cri de l'enfant mort; une qui veux en avoir, et qui va en voler un avant de se suicider avec; Une Ana qui va créer une oeuvre d'art à partir des ossements de l'enfant tué, etc.

Pour illustrer l'ambiance de cette création, Serge Denoncourt fait référence au film The Hours, adapté du roman de Michael Cunningham, qui faisait le portrait de trois femmes à des moments troubles de leur vie (interprétées dans le film par Nicole Kidman, Julianne Moore et Meryl Streep).

«C'est un jeu. Il n'y a pas de sens à donner à tout ça, lance-t-il. C'est comme si tu avais un bijou en toc, avec des facettes différentes qui apparaissaient en fonction de la lumière. Ana, c'est du théâtre pour le plaisir du théâtre. Pour créer des personnages, inventer des histoires qui ne se peuvent pas. Pour voyager dans le temps. Il n'y a pas de message.»

Les personnages s'exprimeront dans la langue du pays. Dans l'île de Skye, les acteurs parlent écossais, à Londres, l'anglais british, au Québec, le québécois et en France, le français parisien. «Normal, répond Denoncourt, qui n'y voit aucune contrainte. Ce qui est un peu tordu, c'est que les scènes de la Ana parisienne ont été écrites par Clare Duffy. Il a donc fallu traduire son texte en français; de la même manière, celles de la Ana british ont été écrites par Pierre-Yves Lemieux, avant d'êtres traduites en anglais!»

La distribution, qui compte trois interprètes écossais, mettra en vedette Magalie Lépine Blondeau, Dominique Leduc et Catherine Bégin, qui emprunte les traits d'une poétesse itinérante et qui est la somme de toutes les Ana. Le seul acteur sur scène, Alain Goulem, interprétera tous les personnages masculins qui gravitent autour de ces femmes. Il tient également le rôle de narrateur.

Serge Denoncourt, qui est capable de créer des pièces tarabiscotées comme dans Il Campiello (de Goldoni), misera cette fois sur le dépouillement, un peu comme dans le mémorable Andromaque, qu'il avait monté à Espace Go sans costumes, avec deux grandes tables et quelques chaises. De grandes colonnes ou cases seront dressées sur la scène, d'où apparaîtront et disparaîtront les différentes Ana. Et sur lesquelles des images seront projetées.

«Tout ce principe du dédoublement est assez accessoire, conclut Serge Denoncourt. C'est un fil rouge. Ana est une pièce fragmentée qui réunit des bouts de vie où des histoires s'entrecroisent.»



Ana
, du 22 novembre au 10 décembre à Espace GO.