Elle est terrible, cette pièce de Réjean Ducharme, HA ha!... Peut-être son texte le plus dur, le plus cruel, le plus impitoyable. À la limite du supportable.

Ducharme met souvent en scène des couples dans ses oeuvres. Des couples fusionnels, presque incestueux. C'est le cas dans Le nez qui voqueL'hiver de force, dans la pièce Ines Pérée et Inat Tendue. Ce qu'il y a de différent dans HA ha!..., qui présente deux couples, c'est qu'on ne retrouve pas cette complicité du «deux contre le reste du monde», on dirait plutôt que les personnages s'entre-dévorent.

Trois petits points céliniens suivent l'exclamation du titre: HA ha!... C'est un rire qui se meurt et c'est un rire qui tue. C'est un rire méchant, sans pitié, qui se moque de tout, même du plus important. C'est un rire vulgaire et sans âme, qui aura la peau de Mimi, toujours à fleur de peau, justement.

Mimi confie: «Moi... je suis drôlement faite. Quand quelqu'un me touche, ça me fait mal. Si c'est quelqu'un de pas méchant, je fais semblant... pour ne pas lui faire de peine.» Ce n'est pas une sainte-nitouche; seulement, elle aime. Brutale, Sophie lui dira: «Le coeur, c'est rien ma petite fille! C'est les reins qui comptent! Les reins! Le coeur, ça lève jamais assez pour la peine!  

Mais l'absence de coeur peut nous faire tomber bien bas, et dans HA ha!..., on n'en finit plus de tomber, jusqu'à l'abject. Sophie, Roger et Bernard aiment se rouler dans la fange, c'est pour eux un jeu qui n'a rien de ludique, c'est un jeu de massacre, une spirale destructrice.

N'aie pas peur, Mimi! Ne crains rien! C'est un jeu! Ce n'est pas pour le vrai! On fait semblant! Cela ne fait pas mal!», lance Sophie, mais rien de plus faux et Mimi est bien trop fragile pour y participer. Plus que dans n'importe quelle autre de ses oeuvres Réjean Ducharme n'a orchestré une violente destruction de l'innocence, sous la forme du jeu de la «tag».

On le sait, chez Ducharme, la fin de l'enfance, inéluctable, est une tragédie. Soit on se trahit, soit on meurt de vouloir s'y attarder. C'est l'entrée dans le faux, dans la sinistre comédie du monde adulte.

Les enfants, ça joue, mais ça y croit toujours, et ça ne peut pas jouer les sentiments. L'amour de Manon pour sa mère dans Les bons débarras, c'est du sérieux, même si elle se joue de tout le monde pour s'approprier l'exclusivité de son affection. Chateaugué dans Le nez qui voque paiera cher la fidélité à son pacte avec Mille Milles, obsédé par le sexe qui vient tout pervertir.

Le sexe, dans HA ha!... est une farce pathétique, les personnages miment un plaisir ridicule, et ça se traite de tronc, et ça répète «moignon», ça se coupe en morceaux, ça détruit l'intégrité, juste pour avoir du «phone». Rien à voir avec le puritanisme et bien plus avec ce que le sexuel a d'aliénant lorsqu'il évacue les sentiments. Plutôt visionnaire quand on pense au porno envahissant.

Sophie accepte la game, Mimi fait semblant de l'accepter. Mais ce n'est pas parce Mimi fait semblant qu'elle ment, puisqu'elle croit que c'est un jeu, alors que tout le monde triche et qu'elle est un livre ouvert. Rappelez-vous, elle ne veut pas faire de peine. Foutue d'avance face à ceux qui n'en ont rien à foutre. Mimi voudrait bien faire partie de la bande, mais il lui reste encore quelque chose dans le coeur, que les autres veulent piétiner pour continuer à jouer. Ça leur ferait bien trop mal de s'arrêter, si bien partis, et de se regarder dans un miroir. Dans ce cas, rira mal qui rira le dernier.