Pour ses 50 ans, l'École nationale de théâtre du Canada a eu la bonne idée de réunir nos deux solitudes sur une scène. Les finissants des sections anglaise et française collaborent à une création bilingue, adaptée librement de textes de Jacob Wren, dont En français comme en anglais (it's easy to criticize). Cela donne un spectacle multimédia, foisonnant et stimulant. Une radioscopie des peurs, des désirs et des utopies de la jeunesse d'aujourd'hui.

Durant deux heures, dans un décor éclaté qui évoque un plateau de cinéma (avec caméraman, éclairagiste, perchiste, et même un écran vert!) la troupe emprunte plusieurs thèmes et directions: monologues, performances, questions au public, confessions intimes... On joue une version 2.0 de La Mouette de Tchekhov: la scène où Konstantin vante les «formes nouvelles» pour expliquer la mauvaise réaction de ses proches à sa pièce. On présente un extrait du film Network de Sidney Lumet. Le magistral discours du présentateur au bord de la folie qui incite les téléspectateurs à la révolte: «I'm mad as hell and I'm not going to take it anymore!» Et dont la colère, au grand bonheur des producteurs de la chaîne, fera exploser les cotes d'écoute...

Sans être furieux, ces jeunes sont dissidents. Animés par une quête de sens, un besoin d'avoir des réponses (les comédiens iront dans la salle, micro en main, poser des questions au public sur l'état du monde, la famille), ils interpellent la génération de leurs parents: «Arrêtez donc de faire des enfants!» si la vie est aussi inutile que vous le dites ... Ce sont des enfants du 11-Septembre, confrontés aux théories de la conspiration, au terrorisme, aux scandales politico-financiers. Les enfants d'un monde où tout fout le camp, surtout les certitudes: «L'insécurité est le moteur qui fait tourner le monde», dira l'un d'eux.

Vous aurez compris que ces acteurs de 20 ans ont énormément de choses à dire, de propositions artistiques et sociales à explorer. Peut-être trop? Un artiste arrive souvent à toucher à l'universel en partant du personnel. Ici, c'est le contraire; et le passage du social à l'intime est parfois maladroit. On sent aussi une volonté de décloisonner les genres, d'ouvrir la pratique théâtrale à une expérience plus humaine. Le spectateur est toujours actif, parfois étourdi.

Or, leur plus grande angoisse concerne le métier qu'ils vont exercer demain (car ils ont du talent!): «Est-ce que le théâtre peut changer le monde?» Sûrement pas. Les Grecs l'auraient fait il y a 2500 ans. Toutefois, quand un spectacle est aussi pertinent dans sa forme et dans son propos, le théâtre nous fait réfléchir sur la condition humaine. Et réfléchir, on en a cruellement besoin, ces jours-ci.

En français comme en anglais... au Monument-National, jusqu'au 30 octobre.