Depuis 1951, l'institution de la rue Sainte-Catherine a été tour à tour troupe de répertoire, «service public», théâtre national et maison des classiques «d'hier et de demain». Pour cela, le TNM a pu compter sur le talent et la fidélité des comédiens québécois. Depuis quatre générations.

«Un acteur, c'est toujours un ancien spectateur qui, un jour, quitte la salle, monte sur scène et s'adresse à ses semblables en tentant de leur faire croire qu'il est un chroniqueur de leur vie», écrit Guy Nadon dans le programme des 60 ans du TNM.

Nous en avons réuni quatre, dans le décor de L'école des femmes, la pièce qui lance cette saison anniversaire, avec justement Guy Nadon. Sophie Desmarais est entourée de Janine Sutto, Gabriel Gascon et Monique Miller qui ont participé à la première production du TNM: L'avare de Molière. Un grand absent: Jean-Louis Roux, le dernier des fondateurs toujours vivant. Il a annulé à la dernière minute. À 88 ans, on peut l'excuser.

«Janine, pouvez-vous soutenir (le cadre) M. Roux?», demande la directrice du TNM, Lorraine Pintal, qui tenait à ce que le fondateur soit présent virtuellement.

«Jean-Louis m'a assez soutenue dans ma vie, je peux bien faire ça pour lui.»

C'est le 9 octobre 1951 que le rideau se lève sur L'avare. Jean Gascon joue Harpagon, malgré son âge (30 ans); pas encore comédien professionnel, Gabriel Gascon accepte, pour dépanner son frère, d'incarner Cléante, le fils d'Harpagon; Janine Sutto joue Élise, la fille de l'avaricieux patriarche; et Monique Miller? «Ce soir-là, j'étais dans la salle avec Mme Audet (la professeure de diction de plusieurs comédiens à l'époque). Je vais reprendre le rôle de Marianne, l'amoureuse de Cléante, et remplacer Ginette Letondal pour la tournée à Ottawa et à Québec.»

Fondateurs... et fondatrices

«C'est drôle, il y avait trois femmes dans la troupe (la grande Denise Pelletier était aussi de la distribution) ... mais on a seulement retenu les hommes parmi les sept fondateurs», remarque Monique Miller. Elle n'a pas le temps de trancher si c'est du sexisme ou un oubli, Janine Sutto intervient:

Ne commence pas, Monique! Ils nous traitaient très bien. Les actrices avaient aussi leur mot à dire.

Est-ce que l'idée de participer à une ouverture historique leur a passé par la tête ce soir-là? «On ne pensait pas au futur. On se demandait si on allait survivre une seule année, tellement la compagnie n'avait pas d'argent», répond Janine Sutto. «Jean m'avait confié de trouver des accessoires dans des boutiques de la ville», se souvient Gabriel Gascon.

Le nom a été trouvé par Éloi de Grandmont. Gascon et Roux, encore marqués par la visite au Québec du célèbre acteur français Louis Jouvet, au début de 1951, ont aimé ce clin d'oeil au Vieux Continent. Jouvet et Jean Vilar incarnaient alors le renouveau scénique français qui influence les acteurs du Nouveau Monde.

À l'époque, le TNM logeait au Gesù. Il se produira ensuite à l'Orpheum, puis au Port-Royal, avant de déménager en 1972 à la Comédie-Canadienne. «C'est l'une des rares vraies salles de théâtre à l'italienne à Montréal», dit Monique Miller. «C'est drôle, mais je trouve ça plus impressionnant assis dans la salle que debout sur scène», remarque Sophie Desmarais. La comédienne y a joué pour la première fois il y a deux ans, dans Beaucoup de bruit pour rien. «Je me sens bien entourée sur la scène du TNM. Il y a une chaleur, une proximité avec le public qui me rend moins nerveuse qu'ailleurs.»

Sur ce, les trois vétérans regardent avec une pointe de nostalgie la prochaine Agnès, semblant lui envier autant sa jeunesse que sa témérité.

L'école des femmes de Molière, du 4 au 29 octobre, au TNM.