Quatre pièces à l'affiche cet automne trouvent leur source dans des conflits armés. Si la guerre est un sujet vieux comme la tragédie grecque, c'est toutefois un terrain miné sur lequel auteurs et metteurs en scène s'avancent avec précaution. Pour mieux faire l'effet d'une bombe.

«Le moteur du théâtre est le conflit. Le plus grand conflit, c'est la guerre», résume Larry Tremblay, dont la pièce Cantate de guerre prend l'affiche mardi au Théâtre d'Aujourd'hui. Des tragiques grecs à Wajdi Mouawad, la guerre est un thème récurrent au théâtre. Revenir sur la chute de Troie est toutefois moins périlleux que d'évoquer les Territoires occupés, la Tchétchénie ou l'Afghanistan.

«Une fois passée la pulsion d'écrire une pièce sur la guerre, je ne savais pas par quel bout commencer, avoue Pierre-Michel Tremblay, dont la pièce Au champ de Mars évoque notamment le sort fait aux soldats canadiens aux prises avec un stress post-traumatique. Je me disais à la blague que je n'étais pas Wajdi Mouawad... Je suis né à Dolbeau et les bombardements sont rares au Lac-Saint-Jean. Je me sentais un peu imposteur.»

Pour écrire sur la guerre, il faut d'abord un point d'ancrage. Pierre-Michel Tremblay s'est inventé un personnage de soldat hanté par sa mission en Afghanistan. Philippe Ducros (L'affiche) l'a trouvé en recueillant les témoignages de Palestiniens vivant dans les territoires occupés par Israël. Larry Tremblay, lui, a été inspiré par un ouvrage portant sur la guerre de Tchétchénie. Or, s'il ne le disait pas, on ne le saurait pas.

L'auteur de Cantate de guerre a retranché, au fil des versions, toute référence à ce conflit. Il s'est concentré sur «les mots de la haine» et les figures universelles de la violence: un père qui tient une arme, un fils témoin de l'humiliation de ses parents et un groupe de soldats qui parle d'une seule voix - lointain écho du choeur antique.

«Je n'ai pas voulu nommer un uniforme ou un conflit, insiste-t-il. C'est un texte sur tous les conflits à toutes les époques. Je voulais qu'il amène chacun d'entre nous à s'interroger sur ce qu'est le conflit racial, le génocide, la guerre ethnique.» Les mots portent donc seuls le poids de la haine.

Prendre du recul

Le metteur en scène Marc-André Thibault a fait un choix semblable à Larry Tremblay pour Tranchées, d'après Hanokh Levin. Il a en effet éliminé les caractéristiques identitaires des personnages de l'un des textes intégrés dans ce collage, où un Juif vient raser la maison d'un Arabe étonnamment compréhensif. Il a pris cette décision après avoir échangé à quelques reprises avec la fondatrice d'un centre d'études juives de Montréal.

«Ce qui ressortait de nos entretiens, c'est que le spectacle ne parlait pas du tout du conflit, qu'on ne prenait pas position, excepté dans Représailles de printemps, explique-t-il. Je comprends que Levin voulait critiquer sa société, mais ce n'est pas l'objectif du spectacle. Nous voulons poser un regard sur l'humain, sur l'absurdité de la guerre.»

Pierre-Michel Tremblay comprend très bien qu'un auteur ou un metteur en scène puisse vouloir protéger «l'indépendance» de son oeuvre en évitant les références trop précises. Ce n'est toutefois pas l'approche qu'il privilégie: «Moi, j'aime que mon théâtre soit inscrit dans l'actualité, dans ce qu'on vit.»

Nommer pour témoigner

Ne pas nommer le conflit qu'il abordait n'a jamais été une option pour Philippe Ducros. L'affiche (prix de la critique 2010) découle directement de séjours qu'il a effectués au Levant et son envie de montrer l'impact du conflit israélo-palestinien au quotidien, des deux côtés des postes de contrôle.

«J'avais un souci de parler précisément de ce que j'ai vu et vécu, de ce que les gens vivent là-bas, de jeter un éclairage sur ce conflit-là en particulier et de donner la parole à des gens qui ne l'ont pas même si ce conflit est très médiatisé», détaille-t-il.

Philippe Ducros montre clairement dans L'affiche les impacts de l'occupation sur les Palestiniens, mais démontre aussi comment la violence nourrit deux systèmes d'endoctrinement religieux parallèles - et opposés. «Je ne réfléchis pas tant sur ce qu'est la guerre en général que sur cette occupation-là, sur ces ramifications au niveau de la martyrisation ou du colonialisme, sur notre rôle en tant qu'occidentaux et mon rôle en tant qu'artiste.»

Parler de la guerre implique d'emblée une responsabilité. Souvent collective. Que faisons-nous avec les jeunes hommes qui reviennent d'Afghanistan? Quelle est notre responsabilité en tant que citoyen de l'ONU? Que faisons-nous pour stopper la transmission de la haine? Ces hommes de théâtre n'ont pas toutes les réponses, mais posent des questions qui concernent tout le monde.

------------

Quatre pièces



Cantate de guerre


Dans cette oeuvre chorale, Larry Tremblay se concentre sur les mots et signe un texte poétique qui parle de la transmission de la haine.

Du 20 septembre au 15 octobre au Théâtre d'Aujourd'hui.

Tranchées

Collage de textes d'un humour souvent noir où sont raillées les violences quotidiennes et la difficulté d'échapper aux perceptions qu'on a des autres.

Du 20 septembre au 8 octobre chez Prospero (salle intime).

Au champ de Mars

Avec un humour cinglant, Pierre-Michel Tremblay confronte le spectacle de la violence et les horreurs bien réelles qui hantent un rescapé de l'Afghanistan.

Du 1er au 12 novembre au Rideau Vert. En tournée tout l'automne autour de Montréal.

L'affiche

Oeuvre coup-de-poing qui montre comment, des deux côtés du mur qui sépare Palestiniens et Israéliens, la violence nourrit l'extrémisme.

Du 8 au 26 novembre à Espace libre. En version anglaise (The Poster), du 17 novembre au 4 décembre au Bain Saint-Michel.