Fils de Roger Vadim et de Catherine Deneuve, beau-fils de Jane Fonda, demi-frère de Chiara Mastroianni, Christian Igor Christoph Plemiannikov est venu au monde avec un lourd héritage. Sa mère ne voulait pas qu'il fasse du cinéma, son père, oui. Il aurait pu mal tourner. Le théâtre l'a sauvé.

Sur la scène du Chapiteau de Bromont où j'ai découvert Christian Vadim dans la comédie Boire, fumer et conduire vite, je l'ai pris pour personne, c'est-à-dire pour le seul comédien de la distribution qui n'était pas un enfant de star. C'était le plus grand de la bande et le plus moche aussi, du moins de loin. Son personnage, une espèce de grand échalas, demeuré et ivrogne, était aussi drôle qu'il était imbécile. Et pourtant, très vite dans cette pièce franco-française sur la rectitude politique, qui ressemble au Huis clos de Jean-Paul Sartre, mais monté par le Théâtre des Variétés de Gilles Latulippe, son personnage n'a pas tardé à s'imposer, puis à carrément voler le show.

Le lendemain, en parcourant les critiques de la France où le spectacle tourne à plein régime depuis deux ans, j'ai constaté que le verdict était le même de l'autre côté de l'océan. La plupart de mes collègues français s'entendent pour dire que dans cette pièce réunissant trois quadragénaires et une avocate dans une cellule de prison un soir de Nouvel An, celui qui casse la baraque, c'est... Christian Vadim. Autrement dit, j'avais vu juste pour l'acteur, mais je m'étais royalement trompé sur sa filiation. Non seulement Christian Vadim n'est pas le fils de personne, mais ses parents sont les plus célèbres et les plus emblématiques du lot.

Garçon bien élevé

Je le retrouve une semaine plus tard dans le Vieux-Montréal. Pendant que l'attachée de presse gare sa voiture, je le regarde traverser la rue avec une discrète désinvolture. Il porte une veste de daim un peu tapée, une barbe de cinq jours et, sous son regard clair, des cernes témoignent soit d'une insomnie chronique, soit d'un goût prononcé pour la fête et les nuits bien arrosées. Mais ce que je constate surtout, c'est que sous son côté froissé-dépeigné-lendemain de brosse, Christian Vadim n'est pas moche du tout. Plutôt le contraire. Il a une gueule d'acteur de cinéma, une très belle gueule même, où l'insouciance et le caractère se rencontrent et se mêlent sans fracas.

Il commence par commander une bière parce qu'il est 15 h, c'est à dire trop tôt pour un Bloody Mary, et parce qu'il est, malgré son ancienne réputation de noceur, un garçon bien élevé.

Fils d'une icône, d'un mythe, de la quintessence même de la femme, il est né alors que Catherine Deneuve n'avait que 19 ans.L'année suivante, le roman d'amour entre Roger Vadim et Catherine Deneuve était déjà terminé. Restait ce fils, Christian Igor Christoph, que Deneuve a élevé seule, ne le confiant à son père, parti vivre aux États-Unis avec Jane Fonda, que pendant les vacances.

«La première fois que je suis venu ici, raconte-t-il, c'était dans la ville de Québec avec mon père pour le tournage du remake de Et dieu créa la femme avec Rebecca De Mornay. Je devais avoir 15 ou 17 ans. Je ne travaillais pas ni rien. Je ne faisais qu'accompagner mon père.»

Vérification faite, il avait 24 ans, ce qui en soi indique une autonomie tardive et une certaine difficulté à couper le cordon paternel. Il nie ce dernier point, mais concède qu'il s'est longtemps cherché autant au plan identitaire que professionnel.

«J'ai mis du temps à savoir ce que je voulais faire. Au moment d'entrer en fac, je suis allé en droit tout simplement pour suivre mes copains. Entre temps, mon père m'a donné un premier rôle dans le film Surprise Party. C'était génial. On était une bande de jeunes, on vivait à l'hôtel, on faisait la fête tous les soirs, on arrivait le matin sur le plateau sans savoir nos textes. Je me disais: le cinéma, c'est vachement sympa. On gagne plein de fric et on ne fout rien. Plus tard, j'ai compris que j'avais tout faux et que le cinéma, c'était 90% de travail.»

Acteur, malgré sa mère

Quand Roger Vadim offre ce rôle à son fils, Catherine Deneuve n'est pas contente. La dernière chose que la demoiselle de Rochefort souhaite, c'est que son fils devienne acteur. Il le deviendra malgré elle, tout comme sa demi-soeur, Chiara Mastroianni. En 1983, Catherine Deneuve s'en ouvre au Nouvel Observateur en déclarant: «C'est un métier très difficile, aujourd'hui plus que jamais. J'espérais que Christian aurait vu et compris les difficultés. Mais malgré tout il a été tenté - il faut dire qu'il a été tenté par le diable, alors évidemment. C'est sa vie. Sa nouvelle vie. Je suis obligée de l'admettre.»

Pour rassurer sa mère sur le sérieux de sa démarche, Christian Vadim multiplie les stages et les ateliers d'acteurs à Paris, passant de l'American Center aux ateliers de Jack Waltzer en passant par Pygmalion et par la coach Corine Blue. «C'est Corine qui m'a donné la piqûre du théâtre en montant avec moi au Bec fin, une sorte de bistro-théâtre de poche, deux monologues de Cocteau. Le premier soir, j'ai dû m'asseoir sur une chaise au bout d'une minute tant mes jambes tremblaient. En même temps, cette rencontre directe avec le public a été fatale au bon sens du mot. Je venais de trouver ma drogue. Sans le théâtre, je ne crois pas que j'aurais continué dans ce métier-là et je ne crois surtout pas que j'aurais fait du cinéma.»

Et pourquoi donc? «Parce que je n'ai pas assez d'ambition et que je peux très bien être heureux à ne rien faire. Je n'ai pas besoin de constamment être devant une caméra. J'ai envie de pouvoir me mettre un doigt dans le nez sans qu'une armée d'iPhone le capte et le diffuse sur le web. Toutes les grandes stars de cinéma sont habitées par les mêmes mécanismes de dépassement, d'obsession et de dureté. Elles ne font que penser, manger, dormir cinéma. Elles n'ont pas de vie de famille, trahissent leurs amis, n'ont pas de parole et, en fin de compte, elles paient un gros prix et n'en retirent pas nécessairement beaucoup de bonheur. Moi, je ne veux pas de cette vie-là.»

Évidemment, Christian Vadim sait de quoi il parle. Reste qu'après cette tirade sur la vie secrète et infernale des stars, il prend bien soin de préciser qu'il ne parle pas nécessairement de ses parents. Il parle des stars en général. Et autant dire que Christian Vadim en a vu toute une flopée. Enfant, autour de la table chez sa mère ou chez son père aux États-Unis, il n'y avait que des stars. «Et mon seul souci, c'était de pouvoir quitter la table au plus vite pour aller jouer au soccer avec mes copains.»

Pas de contacts?

Sa fréquentation par la bande du star-système l'a laissé méfiant et critique face au cinéma, surtout le cinéma français. «C'est un milieu dur, con, compétitif où il faut absolument être bankable, ce que je ne suis pas. Pourquoi? Parce que je n'ai pas les bons contacts ni la bonne attitude. Faire les couvertures des magazines avec mes enfants, ce n'est pas mon genre.»

Pas de contacts? J'avoue que j'ai failli m'étouffer de rire en entendant le fils de Catherine Deneuve affirmer pareille chose.

En même temps, malgré sa belle gueule et son indéniable talent, c'est vrai qu'on ne lui offre pas souvent de premiers rôles au cinéma. Les seules fois où c'est arrivé, c'est avec le réalisateur franco-chilien Raoul Ruiz, qui est mort hier. Vadim a tourné plus d'une demi-douzaine de films avec lui dont son dernier, La noche de enfrente, la première production entièrement chilienne de Ruiz depuis 1973. Le film sortira cet automne en même temps que Nos plus belles vacances écrit par Philippe Lellouche, l'auteur de Boire, fumer et conduire vite.

En attendant, Catherine Deneuve arrive en ville le 26 août à l'invitation du FFM qui lui rendra hommage. Fiston ne pourra pas être de la fête, car il joue à Bromont ce soir-là. Ce n'est que partie remise.