« Il y avait autrefois un petit roi » : ainsi débute la magnifique et populaire chanson Le petit roi de Jean-Pierre Ferland. Mais à compter de mardi, au théâtre Saint-Denis, c'est « dans l'âme et dedans la tête » d'un personnage fictif qu'on entrera, grâce à une comédie musicale inspirée des chansons de Ferland, baptisée Le petit Roy. Hey, boule de gomme, serais-tu devenu un autre homme?

« Combien coûte l'amour? » : ces mots reviennent fréquemment dans la comédie musicale Le petit Roy, où il est effectivement beaucoup question de l'amour qu'on paie avec sa vie, sa liberté, sa raison... Ce leitmotiv est aussi un joli et discret coup de chapeau à Ferland : Combien coûte l'amour était le titre d'une de ses premières chansons, qui figure sur son tout premier album, lancé en 1959!

Des petites touches de ce genre, il y en a tout plein dans le livret de la comédie musicale écrite par Benoît L'Herbier et Robert Marien, mise en scène par Serge Postigo, qui tient également le rôle principal, celui de Jean-Philippe Roy : « Djipi » est un jeune homme idéaliste, qui croit en l'amour fou et fidèle, jusqu'à commettre l'irréparable, un meurtre, et se retrouver en prison 20 ans durant. Pour reprendre les mots de Simone, la prostituée qu'aime le petit Roy ( rôle tenu par Geneviève Jodoin), ils sont tous deux - de même que tous ceux qui les entourent - « condamnés à aimer ». La peine peut être lourde, parfois...

Aux côtés de Geneviève Jodoin et Serge Postigo,  il y aura Normand Lévesque (qui joue Gerry, un chanteur populaire déchu, et Gaston, un prisonnier), Luc Proulx (qui tient le rôle d'un tueur, d'un gardien de prison et d'un juge!), Stéphan Côté, Renaud Paradis, Louis Gagné... En tout, 15 comédiens dont 10 qui tiennent (au moins) deux rôles : une première moitié de l'histoire se passe en effet dans le milieu des bars, la deuxième dans le milieu carcéral!  Le tout solidement construit autour d'un livret structuré. « Dans un  musical, le livret, c'est lui, le boss », explique Robert Marien, qui en connaît un bout sur la comédie musicale, comme on le sait. « C'est ça qui fait que la pièce pourrait être juste jouée ou juste chantée, pis que ça marcherait : l'histoire! Mais ce qui est encore mieux, c'est quand elle est jouée et chantée! »

«C'est vrai que le fait qu'on joue chacun deux rôles complique un peu les choses, reprend pour sa part Normand Lévesque, mais en même temps, c'est ça qui en vaut le coup. Pour moi, Le petit Roy, c'est un cadeau pour fêter mes 40 ans de métier, j'ai toffé jusque-là! Mon personnage de Gerry, à la fois sympathique et pathétique, est une grande vedette de la radio qui a pris une drop à l'arrivée de la télévision - une affaire qui peut arriver à n'importe quel artiste.... Alors, chaque fois que je chante Le chat du Café des artistes, qui parle de  l'indifférence ou de l'oubli que vit un artiste, je réalise une chose :  je vais être obligé de m'acheter une caisse de couches tellement j'ai peur de faire dans mes culottes, c'est un défi épouvantable! explique-t-il en riant aux éclats. Par contre, grâce au rôle de Gaston le prisonnier, j'ai appris à danser le gumboots (NDLR : danse d'origine africaine, où les danseurs tapent sur leurs bottes de caoutchouc). Je ne peux pas vous dire tout le cheminement que ça m'a pris pour être capable de faire ça. J'ai reçu mon formulaire de pension de vieillesse le matin même de la première répétition! Je n'ai plus 20 ans, et ça a été douloureux comme apprentissage. Mais j'y suis arrivé! »

De vrais gars

Car ce que voulait Postigo, explique la chorégraphe Maud Saint-Germain, était clair : «Serge m'a dit : je ne veux pas de danseurs, je veux des gars qui dansent!  Des gars qui s'expriment avec leur corps, faute de pouvoir le faire avec des mots. Si l'un des comédiens fait une erreur de chorégraphie, ça ajoute simplement du comique ou un côté plus touchant, plus sincère. Et c'est tellement de vrais gars, tous différents par leur âge, leur corps, leur formation, leur personnage... »

Pour s'inspirer, Maud Saint-Germain a notamment regardé les films Jailhouse Rock, Kiss of The Spider Woman, Cry Baby, etc., qui se passent en prison. « Mais j'ai surtout écouté et regardé les gars chanter, juste en version piano et voix au début. Ce sont eux qui m'ont inspirée. Les chorégraphies sont là pour infuser de l'énergie, de l'humour, de l'enthousiasme, alors que l'histoire est dure : c'est un crime passionnel, des amours interdites, des milieux de vie difficiles. »

Le défi de la costumière Marianne Thériault, c'était justement d'intégrer tout ça dans un seul costume puisqu'il doit marier deux époques ou deux états dans un numéro, sans qu'il soit possible de sortir en coulisse s'y changer : « Dans presque toutes les scènes, les personnages vivent entre réalité et souvenir, entre 1958 et 1978. C'est pour cela que j'ai essayé de concevoir  un seul costume, mais rapidement transformable, pour les comédiens. Et puis, j'ai joué sur des couleurs assez soutenues, mais qui finissent par être délavées, comme si elles se diluaient dans le quotidien ou le rêve.... C'est très étrange, en atelier, avec les couturières et le coupeur, on chante les chansons du personnage et on est happé par lui. Ce n'est plus la chanson de Ferland, c'est celle de Simone, ou de Monsieur Gobeil... »

Chansons flatteuses

« Je suis entourée de tellement de bons acteurs qu'ils devraient m'envoyer une facture après! dit pour sa part  Geneviève Jodoin (Simone), qu'on connaît surtout pour ses talents de choriste dans Belle et Bum. C'est incroyable, tout ce que j'apprends, à jouer avec eux, reprend -elle. Ce n'était pas évident, jouer sur scène pour la première fois de ma vie... et en plus, le rôle d'une jeune prostituée! Mais Serge m'a donné confiance en me disant que j'avais en moi cette petite lueur particulière, celle d'une fille qui lutte constamment entre la fragilité et la résilience... Un petit côté Black Swan, disons!

« C'est une pièce où ce sont surtout des hommes qui sont en scène, ajoute la chanteuse-comédienne qui doit parfois changer trois fois de costumes dans une seule chanson! Ce sont tous des poqués qui se tapent dessus pour se montrer de l'affection, qui vivent de la tristesse, mais qui rient tout le temps. Les femmes, elles, sont là, partout dans les chansons de Ferland : Jean-Pierre écrit ce qu'une femme aimerait se faire dire. Toute son oeuvre est faite pour nous flatter dans le sens du poil, si je puis dire! »

Aux côtés de Geneviève Jodoin, il y aura notamment Monique Fauteux et Estelle Esse, deux des meilleures coach vocals du Québec, qui vont également jouer! Oui, elles aussi seront des prostituées. Comme le dit Monique Fauteux avec une pointe d'humour pince-sans-rire, « c'est un rôle de composition! »

« Elle est formidable à voir sur scène, Monique Fauteux, et... elle m'intimide presque, elle chante tellement bien », explique le comédien Luc Proulx. Comédien mais aussi musicien (il est l'un des membres fondateurs de la Fanfare Pourpour), Proulx admet que la difficulté à surmonter pour lui fut de chanter sur scène. « Mais j'adore avoir à jouer un tueur (le méchant Bob Laporte), puis ensuite un bon monsieur (M. Gobeil, gardien de prison), dans la même comédie musicale. J'adore ces contrastes, où tu joues de ton corps : les bras croisés, c'est le tueur; les épaules voûtées, c'est le gardien de prison bon gars. Le menton, les mains, tout participe. Et il faut que ça aille vite, parce qu'on passe souvent du bar à la prison, ou vice versa, dans un même numéro.»

Il se trouve que Luc Proulx est le seul comédien-chanteur « rescapé » de la distribution de la première version du Petit Roy (voir notre chronologie). «Robert (Marien) et moi, on jouait tous les deux dans Lance et compte (respectivement les rôles du joueur de hockey Robert Martin et du journaliste sportif Maurice Nadeau), il y a quelques années. À l'heure du dîner, Robert me parle de la version concert qu'il faisait du Petit Roy et me demande si j'avais envie de jouer Monsieur Gobeil J'ai dit oui. » 

L'émotion en priorité

Il y a quatre ans, Michel Cusson avait déjà été approché pour faire les orchestrations du livret, mais le projet n'aboutissait pas, à l'époque. Cette fois, c'est la bonne : « Robert (Marien) a fait une super job avec la musique de Ferland dans le livret, dit Cusson. Moi, je suis plutôt le « fantôme de l'opéra » dans cette production, ajoute-t-il en riant : je ne suis pas souvent dans la salle de répétition, mais je travaille avec les musiciens! » Ils sont en effet cinq musiciens dont la moyenne d'âge voisine les 26 ans qui oeuvrent à faire une manière de « bande sonore enregistrée, mais live »!

Un peu compliqué à expliquer, mais disons que l'émotion devrait être de la partie dans cette trame : «  En fait, c'est même ma priorité, dit Cusson, parce que l'émotion, c'est fragile et c'est donc la première chose que je protège. Ça veut dire pas trop de  guidis : j'épure, j'unifie, je précise. Mais quand je regarde les répétitions, j'ai entièrement confiance : Serge Postigo a choisi des comédiens-chanteurs au jeu super solide et qui chantent bien, mais qui sont un peu en danger dans cette histoire, un peu en dehors de leur zone de confort. Ça donne justement une émotion particulière. »

Tiens, exactement comme le chante Ferland lui-même dans sa chanson Un peu d'émotion : « Un peu d'émotion / Mesdames et Messieurs / Un peu de fleur bleue / Ça vous f'ra pas mourir... » Ça peut même faire pleurer ou sourire.

Le petit Roy, au théâtre Saint-Denis 1, du 5 au 16 juillet.