Un homme d'âge mûr lit paisiblement son journal dans le confort de son domicile lorsqu'un autre, plus jeune et plus agité, franchit soudain le pas de sa porte. L'intrus s'excuse d'emblée de ses manières cavalières, mais insiste surtout pour se faire inviter à entrer. L'orage approche et il n'a pas de parapluie. «Qu'est-ce que ça vous coûte?», insiste le jeune homme devant un hôte éberlué.

Cette curieuse entrée en matière est le point de départ d'un duel imaginé par le dramaturge Étienne Lepage (Rouge gueule), mais télécommandé par le metteur en scène Sylvain Bélanger. Le directeur artistique du Théâtre du Grand Jour est en effet l'initiateur de ce spectacle tordu avec lequel il désire creuser un sentiment partagé à notre époque: l'insécurité.

Pour contribuer à placer les spectateurs en état d'alerte, le metteur en scène mise sur une scénographie (signée Romain Fabre) hors de l'ordinaire. Les sièges, disposés en cercle autour de l'aire de jeu, sont séparés par des cloisons latérales. Chacun des «isoloirs» ainsi constitués est muni d'un mini-écran et d'une caméra de surveillance.

Ce petit côté Big Brother met un petit peu de piquant dans la représentation, même s'il se révèle finalement accessoire. On s'habitue vite à l'idée d'être filmé et vu par un autre spectateur. Ce qui retient davantage l'attention, ce sont les réactions du visage qui apparaît dans notre écran à nous: son regard, ses mimiques, ses bâillements. Cet air traqué qu'il a lorsque la pièce débute et qu'il cherche à apprivoiser ce déroutant face-à-face.

L'enclos de l'éléphant joue d'abord avec les notions de mystère, de méfiance, de danger et d'agression. Instinctivement, comme le pauvre Alexis (Denis Gravereaux), on se méfie de Paul (Paul Ahmarani), cet intrus dont le discours et la manière sortent de la norme. Sa gentillesse est suspecte malgré ses bonnes manières. Ses sourires cachent forcément quelques idées mal intentionnées. Du moins, c'est ce qu'on a appris à croire à une époque où il est conseillé de verrouiller ses portes.

Mais la pièce s'avère aussi une intéressante métaphore de tout un système économique et politique qui pratique l'art de convaincre jusqu'à l'agression. Des politiciens aux faiseurs d'opinions en passant par les publicitaires et les vendeurs de bagnoles, tous semblent savoir ce que voulons, avant nous et mieux que nous.

Le dispositif scénique ne transforme pas l'expérience théâtrale de manière aussi fondamentale que celui d'Octobre 70, aussi présenté dans le cadre du Festival TransAmériques. Or, L'enclos de l'éléphant, qui est défendu par deux solides acteurs, trouve sa pertinence dans sa manière de jouer avec la mécanique de l'insécurité et comment elle peut servir à imposer des idées.

Jusqu'à mercredi à Espace libre.