Vous ne verrez pas Bertrand Cantat dans Le cycle des femmes l'an prochain, mais vous pouvez l'entendre dans la pièce Temps, nouvelle création de Wajdi Mouawad, présentement à l'affiche du Théâtre d'Aujourd'hui et jouée à la Schaubühne de Berlin au début du mois.

La chanson La rage, de Noir Désir, interprétée par Cantat dans une version live, ponctue la pièce à trois moments en lui insufflant un petit côté rock à propos, mais sans plus. Pour une raison obscure, les extraits diffusés s'arrêtaient abruptement, sans transition, au milieu des applaudissements. Mise à part cette petite fantaisie, Wajdi Mouawad continue d'explorer les zones sombres de l'humain avec le même doigté.

Cette fois, il réunit une famille brisée autour d'un père mourant, Napierre Laforge, pour régler des questions relatives à sa succession et, apprend-on, à la survie de son oeuvre. L'action se passe dans la ville minière de Fermont (sur la Côte-Nord), infestée par des rats, symbole de la mort rôdant dans cette ville glaciale qui grignote ses habitants. Les images sont à la fois très simples et très efficaces. Comme l'extérieur et l'intérieur du fameux mur-écran, qui abrite les habitants, représentés par des draps.

Après 40 ans, deux frères - séparés à leur naissance - se retrouvent pour un premier et dernier tête-à-tête avec Napierre Laforge, leur père qu'ils n'ont jamais connu. L'un a grandi en Russie, l'autre au Québec. Leur soeur, instigatrice de cette réunion, ourdit un plan, on le devine, sans soupçonner l'ampleur de sa blessure.

Le texte de Wajdi Mouawad, qui a pris forme en quelques semaines après plusieurs séances d'improvisation avec les comédiens, est étonnamment économe de mots. Malgré un récit «tout neuf», les thèmes de prédilection de l'auteur demeurent les mêmes: la mère disparue, l'inceste, le legs ou la transmission, la quête identitaire, la vengeance et la mort.

On dit que les auteurs écrivent toujours la même pièce. C'est certainement le cas du dramaturge québécois, qui nous plonge, sans réelle surprise, dans cette nouvelle tragédie familiale. Ce que parvient encore à faire Mouawad demeure toutefois essentiel: créer des personnages complexes et universels qui vivent des drames quotidiens, et qui ont le mérite de soulever des questions percutantes. La distribution est visiblement à l'aise dans cette sauce mouawadienne.

Jean-Jacqui Boutet incarne à la perfection le controversé patriarche qui a perdu la mémoire; Marie-Josée Bastien joue habilement la soeur (sourde et muette), qui planifie tout doucement sa vengeance (même si sa gestuelle finit par être énervante); et Anne-Marie Olivier, qui a dû apprendre le russe pour donner la réplique à Valera Pankov (un des fils), est sublime dans le rôle de l'interprète.

Isabelle Roy incarne avec adresse la mairesse de Fermont, habillée en Appollone qui tire des flèches (intéressant, mais lassant) et qui fait un lien astucieux entre le passé et le présent; seule Véronique Côté, dans le rôle de l'amante du vieil homme, déclame son texte à la manière d'une tragédienne. Que ce soit volontaire ou non, c'est extrêmement agaçant.

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Temps, jusqu'au 18 mai au Théâtre d'Aujourd'hui.