Le dramaturge Wajdi Mouawad présentera bel et bien le Cycle des femmes à Ottawa et à Montréal l'an prochain, mais d'une façon qui soulignera l'absence de Bertrand Cantat dans le but de dénoncer le Parti conservateur, qui a d'ores et déjà annoncé que le chanteur français serait interdit de séjour au Canada.

Le directeur artistique du Théâtre français du Centre national des arts d'Ottawa (CNA) a décrié à nouveau, lundi, la décision du Parti conservateur, s'il demeure au pouvoir, d'interdire à M. Cantat de séjourner au pays, mais encore plus de ne pas lui permettre le recours administratif prévu pour contester ce refus.

«Cela nous a semblé très questionnable», a déclaré le metteur en scène. «Bizarre», a-t-il même ajouté.

«Là, on est en dehors de la loi, on est dans un rapport où le politique pèse sur l'administratif», a-t-il relevé, précisant que les portes avaient été fermées «à double tour» sur la venue de M. Cantat.

«On a ressenti cela avec violence», a-t-il même ajouté, à l'occasion de la présentation de la programmation du Théâtre français du CNA pour la saison 2011-2012.

La loi sur l'immigration prévoit l'interdiction de territoire pour les personnes reconnues coupables à l'étranger de crimes graves.

Malgré cette prohibition, un permis de séjour temporaire peut exceptionnellement être délivré mais Josée Verner, qui était ministre sous le gouvernement conservateur jusqu'au déclenchement des élections, a déclaré, il y a une dizaine de jours, qu'aucune exemption ne serait accordée au musicien.

Bertrand Cantat, chanteur du défunt groupe rock Noir Désir, a été condamné en 2004 pour homicide involontaire de sa compagne de l'époque, l'actrice Marie Trintignant. Il a passé quatre années derrière les barreaux.

L'annonce de la venue de M. Cantat a déclenché un tollé au Québec, plusieurs s'indignant de la participation à une oeuvre artistique d'un homme qui a été coupable d'une telle violence envers une femme.

Il a non seulement écrit la musique de l'oeuvre mais devait être l'un des membres du choeur dans les trois pièces de Sophocle montées par Wajdi Mouawad.

Ne voulant se taire devant une telle position politique qui, selon lui, «s'ingère dans le processus administratif», surtout dans le cadre d'une campagne électorale, M. Mouawad a indiqué que de présenter simplement les pièces de Sophocle avec le remplaçant de Bertrand Cantat n'était pas une «réponse acceptable».

«On ne peut venir comme si de rien était, a expliqué M. Mouawad. Ne pas venir, c'était impossible aussi. Le silence ne peut être une réponse».

«On aurait eu l'impression d'accepter quelque chose», a-t-il renchéri.

Sa réponse sera donc artistique, et il le fera en s'assurant que le débat ne soit pas oublié dans un an, quand le Cycle des femmes prendra l'affiche à Ottawa et à Montréal. Il n'a cependant pas dévoilé lundi comment sa dénonciation s'insérera dans la mise en scène de la trilogie.

«On fera, par notre art, entendre à travers le spectacle lui-même, l'absence», a lancé le dramaturge.

Coïncidence ou geste annonciateur de la dénonciation, un «X» géant marque entièrement la page de la programmation de la trilogie, composée des Trachiniennes, d'Antigone et d'Électre. Le nom de Bertrand Cantat y figure.

Se faisant demander s'il n'avait pas pris une décision trop hâtive - les conservateurs n'étant pas encore réélus et les autres partis politiques n'ayant pas encore indiqué leurs intentions, hormis le Bloc québécois - M. Mouawad a concédé qu'il aurait pu attendre, mais a souligné que le risque que M. Cantat soit refoulé en atterrissant au pays était plus que significatif.

«Devant un risque aussi grand, on ne pouvait pas ne pas réagir», s'est-il justifié, sans toutefois élaborer.

Il ne blâme pas - mais remercie plutôt - la directrice artistique du Théâtre du Nouveau Monde à Montréal, Lorraine Pintal. Elle avait pourtant déjà annoncé vendredi que Cantat ne se produirait pas sur les planches de son théâtre ni sur celles du CNA.

Celle-ci, qui accompagnait M. Mouawad pour l'annonce de la programmation, a précisé que sa décision avait été basée en bonne partie sur la prise de position ferme adoptée par le Parti conservateur.

«On leur recommande plus de vigilance», a-t-elle lancé lundi en soulignant que M. Cantat a mis les pieds au pays récemment pour travailler avec M. Mouawad, sans être tracassé.

M. Mouawad a indiqué avoir parlé avec Bertrand Cantat avant la décision de procéder sans lui. Il rapporte que son «grand ami» s'était dit prêt à affronter les réactions et tous ceux qui allaient l'interpeller, disant qu'il allait leur répondre de la façon la plus gentille qui soit.

Pour le metteur en scène, la participation de Bertrand Cantat à la tragédie grecque aurait donné encore plus de poids à ses mots. La trilogie, qui met en scène des humains «face à un gouffre», aurait résonné encore plus dans la bouche de M. Cantat, projetant ainsi le spectateur dans une sorte de «fiction-réalité».

Sa présence aurait aussi été l'occasion d'un débat de société, qui n'aura malheureusement pas lieu en raison de la décision du Parti conservateur, a déploré M. Mouawad.