Le dramaturge Wajdi Mouawad n'avait «pas du tout» prévu le tollé que provoquerait sa décision de confier un rôle à Bertrand Cantat dans le Cycle des femmes de Sophocle. Il a défendu son choix, vendredi soir, lors d'une première entrevue depuis le déclenchement d'une polémique qui a forcé le Théâtre du Nouveau Monde  (TNM) à retirer l'ex-rockeur de son affiche.

«Il sera à jamais celui qui a tué une femme, a affirmé M. Mouawad lors d'un entretien à Radio-Canada. Mais dire qu'il ne sera que ça, et qu'à jamais, il n'est que ça, il me semble qu'il y a là un rapport qui n'est pas juste.»

La direction du TNM a coupé court à la controverse, vendredi dernier, en annonçant que Cantat ne se produirait pas sur ses planches, ni sur celles du Centre national des Arts d'Ottawa. Mais le metteur en scène, qui lui avait confié le rôle, Wajdi Mouawad, s'était terré dans le mutisme complet depuis deux semaines.

S'il n'est pas intervenu plus tôt, dit-il, c'est d'une part pour ne pas perturber les répétitions qui étaient en cours. Mais aussi, parce qu'il craignait que sa voix se perde dans le «tsunami d'opinions» qui a déferlé sur le Québec.

«J'avais la profonde conviction que rien ne pouvait être audible, a-t-il expliqué, que ce ne serait qu'une opinion supplémentaire.  Et comme elle serait venue de moi (...) elle aurait été décuplé.»

Le metteur en scène, un ami de l'ex-chanteur de Noir Désir, estime que ses détracteurs n'ont pas tort: la justice a puni Cantat pour l'homicide involontaire de sa compagne, Marie Trintignant, mais il demeure un symbole de la violence faite aux femmes. Désormais, dit-il, c'est à chacun de formuler un jugement moral sur sa décision de lui confier un rôle dans sa pièce.

«Si vous décidez que le symbole est plus important que la justice, alors il ne faut pas qu'il monte sur scène. Mais c'est important de réfléchir et de comprendre que s'il ne monte pas sur scène, vous sacrifiez un peu une idée que vous avez de la justice puisque vous lui infligez une deuxième peine.»

Le rôle de Bertrand Cantat dans le Cycle des femmes lui était tout désigné, a expliqué M. Mouawad. Cette oeuvre de Sophocle est constituée de trois pièces. Les Trachidiennes raconte l'histoire d'un individu qui tue celle qu'il aime sans le vouloir. Antigone, celle d'un homme qui est condamné par sa Cité. Et Électre, celle d'un crime impuni. Dans chaque récit, le personnage principal chute alors qu'il est au pinnacle de sa gloire, un peu à l'image du chanteur déchu

Cantat, lui, ne tenait pas l'un des rôles principaux, mais allait être bien visible sur la scène. C'est lui qui a composé la musique du choeur et qui devait en faire l'interprétation. Le choeur, a précisé le metteur en scène, est celui qui se questionne sur l'agissement du protagoniste.

«Ce que je trouvais très, très puissant, c'est qu'on avait un homme qui était face au désastre de sa vie à travers trois pièces, a affirmé Wajdi Mouawad. Et comme son histoire est connue de tout le monde, le spectacteur dans la salle allait nécessairement se retrouver face à un homme qui contemple le désastre de sa propre vie.»

Décision finale lundi

Ce n'est qu'en début de semaine qu'on saura si son oeuvre sera jouée au Canada. Il n'a pas encore décidé s'il ira de l'avant en l'absence de son interprète controversé. Il annoncera sa décision lundi en dévoilant la programmation de la prochaine saison du Centre national des arts à Ottawa.

Si c'était à refaire, il confierait de nouveau un rôle à Bertrand Cantat, a-t-il affirmé. Mais il tenterait de mieux expliquer son choix. «Il y a quelque chose qui relève de l'échec dans toute cette aventure», a-t-il convenu.