On a tout vu dans les comédies musicales: des chats, des fantômes, des rois lions, des casse-noisettes, Beau Dommage, et quoi encore... Mais personne auparavant n'avait eu le culot (et la témérité) de mettre en scène l'histoire d'un deli, aussi vénérable soit-il. C'est pourtant ce qu'ont fait George Bowser et Rick Blue pour créer Schwartz's The Musical, inspiré du livre Schwartz's Hebrew Delicatessen: The Story, publié en 2006 par le journaliste montréalais Bill Brownstein.

À l'affiche du Centaur depuis la semaine dernière, la pièce mise en scène par Roy Surette fait un malheur, malgré les critiques mitigées de la presse anglophone. Un succès à l'image des longues files d'attente devant le célèbre deli du boulevard Saint-Laurent «ouvert depuis 1928». Cette étrange production, par moments carrément surréaliste, nous conte la petite histoire de Ruben Schwartz et du secret de ses sandwichs de smoked meat avec une dose éléphantesque d'autodérision et d'onirisme.

Spectacle singulier

Des papis qui jouent de la guitare (Bowser et Blue eux-mêmes); des murs qui parlent et chantent leur gloire ancienne; un numéro dans lequel s'égosillent un pot de moutarde, un cornichon géant et un morceau de gras; et même une plantureuse effeuilleuse qui se dandine sur le comptoir crasseux du restaurant, voilà autant de scènes qui font de Schwartz's The Musical un spectacle pour le moins singulier. Une sorte d'ovni dans le paysage propret des comédies musicales qui mettent en vedette de jeunes et beaux talents aux joues rosées.

L'histoire est pourtant assez prévisible, même si elle s'inspire du véritable récit de la famille Schwartz et de ses illustres visiteurs (Lucien Bouchard, Mick Jagger, Joan Rivers, etc.). Agrémentée d'une épaisse couche de satire, qui est la marque des deux auteurs qui roulent leur bosse depuis le milieu des années 70.

Nous sommes en 1998, et la propriétaire de l'établissement (Mme Chartrand) se laisse tenter par une offre d'achat. La jeune torontoise qui veut mettre le grappin sur le restaurant (Amber) caresse le rêve d'ouvrir des franchises un peu partout en Amérique du Nord. Avec son fiancé. En cherchant à percer le secret de Schwartz, elle se rapproche d'un serveur (Ben), et tombe amoureuse de lui.

Ce serveur jusque-là bougon (très bon Vito de Filippo) ira jusqu'à chanter les louanges du commerce familial qui a su traverser le temps. Il y va même d'un vibrant numéro dans lequel il dit espérer que ses enfants et ses petits-enfants auront la chance de connaître ce haut lieu de la gastronomie hébraïque.

Mentionnons le décor génial de John Dinning qui a reproduit de façon impeccable la devanture extérieure de Schwartz, qui s'ouvre sur l'intérieur du restaurant grâce à deux parties amovibles, l'une avec le comptoir, l'autre avec les tables. Le volet musical est assez réussi, et les 11 comédiens jouent fort bien leur partition, même si le texte est d'une légèreté déconcertante. Les blagues sont parfois grasses, comme lorsqu'une des filles lancent au serveur: «Est-ce que t'as un cornichon dans le pantalon ou es-tu juste content de me voir?»

De l'humour un peu fafa, plein de bons sentiments, mais aussi d'abondants clichés, notamment sur la rivalité Montréal-Toronto, culminant en un duo très «cheezy» du couple amoureux sur le mont Royal, qui surplombe la ville... Mais allez savoir pourquoi, on passe un bon moment. Et on rit. Même si ce spectacle est une énorme promo pour le restaurant, qui n'en a absolument pas besoin...

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Jusqu'au 1er mai au Théâtre Centaur. En anglais.