On n'a jamais autant parlé de Médée à Montréal. Dans le milieu théâtral du moins... Après l'adaptation de Caroline Binet au Théâtre Denise-Pelletier (TDP), c'est au tour de Denise Guilbault de s'intéresser à l'histoire de cette femme redoutable, féministe avant l'heure, dotée de pouvoirs magiques, mais dans une version très actuelle imaginée par la dramaturge allemande Dea Loher.

Si la Médée de Violette Chauveau (au TDP) était proche de celle décrite par Euripide dans le récit d'origine, celle de Geneviève Alarie réussit à exprimer la même rage et la même colère qui la mèneront à commettre l'infanticide que l'on sait. Pour se venger de son amoureux qui la trahit et l'abandonne pour la fille d'un riche fabricant de vêtements. Dans une ambiance austère et dure.

L'action se passe à Manhattan, dans un décor moderne où deux tours s'imposent. Sans le choeur qui épaulait Médée dans son épreuve, seule dans la jungle de la ville de tous les possibles. Son amoureux Jason, pour qui elle a quitté sa terre natale et même tué son frère, la répudie. Par intérêt. Et peut-être aussi par ennui. Dans l'histoire d'origine en épousant la fille du roi de Corinthe (Créon); dans Manhattan Medea en mariant la fille d'un riche homme d'affaires, Sweatshop-Boss, pour améliorer sa condition.

L'auteure Dea Loher a centré le récit sur la relation de Médée et Jason, qu'on décrit comme des immigrants clandestins. Et qui se brisent les dents en mordant dans le rêve américain. Geneviève Alarie et Alexandre Goyette défendent très bien ces deux amoureux épuisés, malgré l'intensité de leurs échanges, qui laisse peu de place à l'expression de leurs doutes et de leurs vulnérabilités. Tout de même, la mise en scène de Denise Guilbault parvient à rendre ce drame proche de notre réalité. Non plus comme un cri lointain, mais comme celui, familier, d'un amour agonisant.

Didier Lucien allège un peu la tension créée par les deux amants dans son rôle de Deaf Daisy, genre de pusher déguisé en travesti, qui fournira à Médée la robe magique qui brûlera la nouvelle conquête de Jason. Germain Houde a une présence très forte dans le rôle du riche homme d'affaires corrompu, tandis que Paul Ahmarani donne du panache à son rôle de portier et peintre à ses heures, rôle secondaire qui nous situe parfaitement dans la Grosse Pomme.

Dans le récit d'Euripide, le drame de Médée nous mène tout droit vers le meurtre de ses deux enfants, au coeur de la tragédie. Dès le début de la pièce, elle évoque ce projet macabre. Elle y revient tout le temps jusqu'à ce qu'elle décide de mettre son plan à exécution, dans un désir de vengeance qui soulève des questions. Dans Manhattan Medea, qui ne fait mention que d'un seul enfant, l'accent est vraiment mis sur la rupture du couple. La scène du meurtre de l'enfant, poignardé, puis jeté dans la rivière - il y a vraiment un cours d'eau sur la scène, qui est d'ailleurs sous-exploité! - ne dure que quelques minutes, comme s'il s'agissait d'un simple détail. Ce qui en fait une oeuvre soigneusement adaptée, mais qui, en même temps, s'éloigne du mythe.

Manhattan Medea, jusqu'au 23 avril à Espace GO.