Déchirements identitaires, réflexions tortueuses et émotives sur la notion de legs, si le théâtre qui se fait depuis quelque temps reflète la société, la nôtre doit être bien déboussolée. Transmissions, de Justin Laramée, à l'affiche Aux Écuries dans une mise en scène de l'auteur, montre une famille en rupture avec elle-même où, c'est le moins qu'on puisse dire, les valeurs et les possessions matérielles ne passent pas d'une génération à l'autre selon un cycle naturel et harmonieux.

Ce devait être la fête du petit Alphonse. Il a six mois. Dans une société en mal de rituels, souligner la première demi-année d'existence d'un enfant est peut-être normal... Son «anniversaire» correspond aussi à un enterrement, celui du chalet familial, cher à son grand-père Éric (Roger Léger), qui a été vendu «à des Anglais» (précision peu utile, au demeurant). La réunion de famille tournera vite très mal et se transformera en une fête sauvage sarcastique, sanglante et animale.

Transmissions renvoie une image absolument terrible des rapports hommes femmes et en particulier de la figure de la mère. Lucille (Danielle Proulx) se révèle un monstre d'abnégation doublé d'une rude manipulatrice. Sa fille, Camille (Émilie Gilbert), la mère du petit Alphonse, est quant à elle une princesse autoritaire, qui ressent une pression énorme à se conformer au modèle de la maman performante. «J'ai eu une césarienne, regrette-t-elle, mais j'allaite!»

Et les hommes? Silencieux, dominés ou surprotégé (Gabriel, frère de Camille, joué par François Bernier), souvent à la recherche d'une échappatoire. Même le petit Alphonse veut fuir cette famille de fous avec son père... Justin Laramée proposerait une déclinaison du malaise masculin qui plairait fort aux masculinistes si les femmes de la pièce ne semblaient pas elles aussi malheureuses et désorientées. Une chose est sûre, les fondations sur lesquelles s'érige cette famille sont pourries.

Ce n'est pas tant le propos que l'étrangeté de l'univers dans lequel il est déployé qui fait la singularité de ce spectacle. Le sarcasme - qui fait mouche - parasite un peu la tragédie et le texte, bien ficelé et ponctué de scènes fortes, demeure surchargé. La vision tragicomique de la famille que propose Justin Laramée happe surtout en raison de son imaginaire débridé. Sa mise en scène s'appuie sur une habile composition d'atmosphères, rehaussée par une scénographie organique signée Geneviève Lizotte qui va comme un gant à cette tragédie trash sur les liens filiaux et les grands cycles de la vie.