La figure de Médée ne traverse pas les âges seulement à travers de nouvelles mises en scène. Elle survit et renaît aussi à travers des réécritures. Espace Go en présente une à la fin du mois: Manhattan Medea, de l'Allemande Dea Loher, où la tragédie se transporte dans une rude Amérique.

Avant de s'investir dans la Médée moderne qu'elle interprétera, Geneviève Alarie est retournée à la source: elle a relu la tragédie d'Euripide. Pas pour s'en inspirer, mais pour savoir ce qu'elle devait fuir. Denise Guilbault, qui signe la mise en scène de Manhattan Medea, voulait une Médée résolument moderne, affranchie en quelque sorte de ses racines grecques.

«On a essayé de chasser la Médée d'Euripide, de l'oublier, presque», admet Geneviève Alarie. La comédienne raconte que, durant les répétitions, chaque fois que le travail tendait vers le théâtre antique, les artisans disaient à la blague que la toge dépassait. «On ne voulait pas de ça, mais on s'est rendu compte que cette Médée était encore là et qu'on en avait besoin.»

Dea Loher ne réinvente pas le mythe de Médée. Elle s'inscrit dans une tradition de réécriture de ce mythe ancien cristallisé il y a près de 2500 ans dans la version d'Euripide, mais qui a été revisité au fil des siècles par La Péruse, Corneille, Anouilh et Heiner Müller, dont la Médée-Matériau a été montée par Brigitte Haentjens il y a quelques années à l'Usine C.

Manhattan Medea transporte l'action en Amérique à une époque qui pourrait être la nôtre. Le choeur a été supprimé. Seuls Médée et Jason conservent leur nom, les autres personnages étant soit simplement rebaptisés, soit recomposés. L'action, elle, demeure la même: Médée, trahie par Jason, fomente une vengeance qui culminera avec la mise à mort de l'enfant qu'elle a eu avec lui. «Le fond est le même dans les deux pièces», résume Geneviève Alarie.

La modernité de la version de Dea Loher passe aussi par un resserrement de l'action autour du couple. Le rapport à la société s'avère en effet peu présent et laisse toute la place à la tragédie intime. Médée demeure toutefois une femme extrêmement seule, plus isolée que dans la tragédie grecque, où elle était entourée par le choeur. «On peut imaginer que Jason et elle sont des réfugiés de la guerre de Yougoslavie, qu'ils ont quitté le Kosovo et sont arrivés en Amérique, suggère la comédienne. Jason est tout ce qu'elle a...»

Manhattan Medea, malgré son caractère intime, ne se refusera pas aux émotions extrêmes. «Pour nous, Jason et Médée sont des chiens de ruelle, sales, qui ont un côté très sexué et animal. Mais le texte nous ramenait dans la tête et on ne voulait pas ça, dit Geneviève Alarie. Notre défi a été de s'approprier ce texte-là, de l'assouplir assez pour qu'il ne s'adresse pas seulement à la tête, mais que le corps et le coeur en aient aussi pour leur argent. Il faut que ça touche.»

Manhattan Medea, du 29 mars au 23 avril à Espace Go.