Polytechnique. Concordia. Columbine. Dawson. Virginia Tech. De jeunes hommes désespérément en colère font feu et tuent des camarades de classe ou des professeurs presque chaque année. Ici, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde. On les qualifie de «tireurs fous», une désignation qui témoigne de notre incapacité et peut-être de notre refus de comprendre ces opérations d'autodestruction d'une violence extrême.

Sebastian Bosse, 18 ans, est de ces jeunes assassins. Le 20 novembre 2006, il a ouvert le feu dans une école du nord-est de l'Allemagne. Il a blessé huit personnes et s'est suicidé. Avant de mettre son plan à exécution, il a laissé un témoignage vidéo - une déclaration de guerre, plutôt - que le dramaturge Lars Noren a visionné et reconstruit de manière à en faire un texte redoutablement déstabilisant.

Ce cri qu'on entend dans Le 20 novembre, c'est celui de l'adolescent confronté à l'injustice érigée en système dans notre société et celui du jeune adulte qui prend conscience que la vie - sans Dieu, du moins - n'a aucun sens. Sa colère porte, mais serait banale et bêtement culpabilisante si elle n'était lancée d'une manière qui permette de voir au-delà.

Sebastian (Christian Lapointe) a condamné la société entière, mais le texte, lui, évite d'en faire autant. Il force au contraire le spectateur à réévaluer constamment le jugement qu'il porte sur le jeune tueur. Sa mécanique a été conçue de manière à faire naître successivement une foule de sentiments contradictoires: dégoût envers le tueur, adhésion à une partie de son discours, malaise, répulsion.

L'essentiel du spectacle réside ainsi dans le malaise et la complicité qui s'installe entre la scène et la salle. L'assistance devient tour à tour la société qui opprime et la classe visée par le tireur. Interpellés collectivement ou individuellement par ce texte qui se décline surtout au «vous» et au «tu», on est tour à tour juges, otages, assassins, victimes, complices et bourreaux.

Habituée de manipuler des matières explosives, Brigitte Haentjens fait preuve ici de mesure et doigté. Refusant de donner la violence en spectacle, la metteure en scène met le public face à un jeune homme résolu, mais rarement agressif. Il semble détaché, comme s'il avait déjà un pied du côté de la mort.

Il n'y a d'ailleurs rien de naturaliste dans le jeu distancié de Christian Lapointe. Son corps, qui paraît tout d'abord anesthésié par un vide intérieur, a tour à tour la fébrilité de l'animal traqué, le maintien crispé de celui qui se sait pris par les couilles - littéralement - et puis l'assurance tranquille de celui qui se sait armé jusqu'aux dents. Et déterminé à aller jusqu'au bout.

L'impression qu'il n'y a pas d'issue est renforcée par la scénographie qui accule le comédien au pied du mur, tout en piégeant l'assistance. La salle n'est jamais plongée dans le noir, ce qui permet au comédien de vriller son regard accusateur dans celui de spectateurs peu habitués à êtres ainsi exposés et vulnérables dans l'enceinte d'un théâtre.

Ce n'est pas un spectacle aimable. Ce n'est pas une tentative de justification de l'horreur. C'est une oeuvre maîtrisée, qui interroge de manière dérangeante ce qui, dans notre société, peut provoquer la violence en évitant les réponses trop courtes comme les jeux vidéo et les disques de Marilyn Manson. Ce texte brutal fait éclater le vernis de la bonne conscience.

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Jusqu'au 26 mars à La Chapelle.