Freud ne s'ennuierait pas s'il allait passer une soirée chez Prospero, où Paul Ahmarani et sept autres comédiens jouent avec une férocité joyeuse l'une des premières pièces de Bertolt Brecht, La noce. Il y a assurément matière à psychanalyse lorsqu'un repas de noces dégénère aussi gravement que dans cette oeuvre-là. Mais le vieux Sigmund n'aurait pas eu à se casser la tête: le metteur en scène Gregory Hlady a fait le boulot à sa place et théâtralisé, pour notre plaisir, les tensions et pulsions des convives.

L'atmosphère est à la fête lorsque les nouveaux époux (Frédéric Lavallée et Stéphanie Cardi) et leurs invités passent la porte de la maison où les attend déjà la mère du marié (Diane Ouimet). Une fois les invités attablés, le vin se met à couler à flot et le bonheur est déjà presque excessif. Le tout vire assez vite en épousailles canailles, sous l'impulsion du plus déluré des convives, celui-là même qui porte un costume d'allure militaire (Paul Ahmarani).

À l'image de la robe de la mariée, cousue dans une étoffe translucide qui laisse voir ses sous-vêtements, Gregory Hlady a pris le parti de montrer ce qui se cache sous la surface. Sa mise en scène repose moins sur le texte que sur le sous-texte. Ce que jouent les acteurs, c'est précisément les pulsions refoulées, les secrets enfouis, les appétits contenus. Le tout dans une esthétique de l'excès, mêlant grotesque et animalité.

Ce qu'on découvre alors, à la faveur de scènes oniriques intercalées ou d'un jeu outrancier, ce n'est pas seulement une petite famille bourgeoise pétrie de frustrations et jalousies ordinaires, mais des gens habités de désirs inavoués et de désirs incestueux. L'humain, ici, est souvent plus proche de sa nature que de sa culture. La morale est mise à mal d'une manière cruelle, mais jamais loin d'un humour proche du délire.

Cette festive, quoique fêlée, proposition de Gregory Hlady est défendue par une distribution énergique dans laquelle brille tout particulièrement Paul Ahmarani. Ce n'est toutefois pas qu'une partie de plaisir. Si la première partie s'avère carrément jouissive, la seconde s'achève sur une note dure. Brecht n'a pas dû être déculotté de la sorte bien souvent.

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La noce, jusqu'au 19 mars chez Prospero.