Ardon Bess était parti des Caraïbes pour aller étudier les «arts de la télévision» à Toronto. Quelques mois plus tard, il étudiait les arts de la scène à l'École nationale de théâtre de Montréal. C'était en 1965.

«Aux auditions de la troupe étudiante de Ryerson, j'avais décroché le rôle principal dans Sakini in the Teahouse», nous racontait Ardon Bess lundi, quelques heures avant de rentrer à Toronto après avoir joué le rôle-titre de Joe Louis - An American Romance du Montréalais David Sherman, qu'Infinitheatre a présenté au Bain Saint-Michel dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs.

«À la suggestion du directeur de la troupe, après Sakini, j'ai posé ma candidature à l'École nationale de théâtre et, un peu à ma surprise, j'ai été accepté», se rappelle-t-il.

Ardon Bess se souvient d'une époque «politiquement stimulante», avec les débuts de l'émancipation raciale aux États-Unis. Montréal grouille - Bess fréquente des étudiants de l'Université Sir George Williams, aujourd'hui Concordia - mais ce n'est pas encore la grande communion multiraciale. «Un Noir qui ne fréquentait pas l'université n'était pas vraiment digne d'attention», dit-il.

Ardon Bess, lui, fréquente la «National Theater School of Canada», qui a alors pignon sur rue boulevard Saint-Laurent, dans le Vieux-Montréal. Il est aussi le premier étudiant «de couleur» de l'institution bilingue fondée en 1960. Ardon a 25 ans et sa fille Michelle vient de naître à l'hôpital de la Miséricorde, rue Saint-Hubert.

«Comme sa mère ne parlait pas français, je devais servir d'interprète, avec le peu de français que j'avais appris à la petite école à Saint-Vincent», fait-il.

Il utilise ce même bagage pour communiquer avec ses collègues de la «section française» de l'ÉNT où étudient alors les Michelle Rossignol, Claudine Monfette (Mouffe) et Robert Charlebois. «On le voyait peu et il ne parlait pas beaucoup, se souvient Ardon Bess qui se liera d'amitié, par ailleurs, avec Véronique Le Flaguais et Gilles Renaud. J'étais le seul anglophone qui parlait aux francophones, une situation que je ne m'expliquais pas...»

Les deux solitudes

Allant d'une solitude à l'autre, le jeune homme apprend l'expression dramatique avec Paul Hébert et le chant avec Louis Spritzer. Il adore voir ses collègues français jouer du Molière... À Stratford, un été, il suit la master class du Français Jacques LeCoq qui lui fait découvrir la puissance de l'expression verbale: «Je comprenais ce qu'il disait!» s'exclame-t-il.

Pendant Expo 67 - «J'ai vu Montréal exploser!» dira-t-il -, Ardon Bess est figurant dans les cinq opéras que la Scala de Milan présente à la Place des Arts: «C'était merveilleux de voir de près tous ces grands artistes et s'articuler toutes ces composantes dans le lieu sacré qu'est la scène. Ça m'a marqué.»

Diplôme en poche, Ardon Bess a quitté Montréal en 1968, l'année où le Québec se tordait de rire en écoutant le monologue Nigger Black d'Yvon Deschamps. Depuis, M. Bess a toujours a gagné sa vie à la scène - il était au Centaur en 2000 dans le rôle du chauffeur dans Driving Miss Daisy - ou à l'écran, petit ou grand: il s'est révélé en 1975 dans la télésérie de la CBC, King of Kensington.

«Il y a eu des hauts et des bas, dit-il, mais j'en suis quand même dans la cinquième décennie de ma carrière. Mon approche est simple: va où tu es invité...»

Dans les hauts, l'acteur de 70 ans chérit cette Minute du patrimoine où il tient le rôle de Maurice Ruddick, le «Mineur chantant»: «Nous l'avons tournée en une seule prise. Une seule prise en anglais et une seule prise en français.»

Et la retraite? «Pourquoi je prendrais ma retraite? Je suis encore utile à la société.»