La metteure en scène Geneviève L. Blais, du Théâtre à corps perdus, se frotte à l'univers retors d'Howard Barker en montant sa pièce Judith, l'adieu au corps dans un lieu inusité: le stationnement souterrain du marché Jean-Talon. Un pari relayé par les acteurs Catherine De Léan (Judith), Pierre-Antoine Lasnier (Holopherne) et Élisabeth Chouvalidzé (l'idéologue).

Transposition extrême d'un livre de l'Ancien Testament, la tragédie relate cette nuit fatidique où la jeune veuve juive s'est glissée sous la tente du général assyrien qui assiège son village avec le projet de lui trancher la tête. Mais dans la version de Barker, Judith se trouve dans une situation imprévue: Holopherne refuse ses avances, se montre plus fuyant et moins barbare qu'elle ne l'avait imaginé...

Le jeu de la séduction fait place à une lutte autrement plus sophistiquée où chacun joue de ruse - et peut-être même de sincérité - dans une âpre lutte qui passe par le verbe et par le corps. L'occasion pour Barker de labourer les recoins de l'âme humaine, de questionner le recours à la violence comme celui au mensonge et à la duplicité.

Le dramaturge met l'être humain face à des contradictions. Comme le droit de s'élever contre un pouvoir oppressif... et le vide généré par le recours à la violence - Judith ne se dissout-elle pas dans son geste? Il soulève également cette question troublante: puisque le destin des êtres humains est une vie et une mort dépourvues de sens, ne devrions-nous pas nous réconforter les uns les autres plutôt que de nous affronter?

Il appert très rapidement que l'idée de présenter la pièce dans un souterrain n'est pas qu'une lubie. Faisant un usage ingénieux de la rampe d'accès du stationnement et des parapets de béton, découpant l'espace à l'aide de tentures noires, Geneviève L. Blais crée une atmosphère oppressante qui convient parfaitement au propos. Alors que des tapis orientaux et une alcôve décorée dans le même style évoquent le cadre de l'histoire, les piliers de béton, les tuyaux et les fils électriques apparents l'attirent dans un univers plus contemporain.

Le texte de Barker, ponctué de ruptures nettes et abruptes, s'avère en revanche une partition complexe que les acteurs n'arrivent pas tous à incarner avec la solidité et la conviction nécessaires. Holopherne manque de fermeté et Judith, de ce mélange de peur et de force qui devraient l'animer. Élisabeth Chouvalidzé, par contre, confère une grande vérité à cette «idéologue» domestique étrangement comique dont le rôle est de s'assurer que Judith commettra bel et bien l'irréparable.

Les manques sur le plan du jeu diminuent la portée émotive de cette production, qu'on retiendra d'abord pour la pertinence de sa scénographie. Ce qui n'empêche pas la parole de Barker de résonner fortement. Derrière la dureté de la démonstration, la rudesse de la parole et les maladresses, point sa cruelle lucidité.

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Jusqu'au 17 février dans le stationnement du marché Jean-Talon.