Sauce brune, repris à la fin de l'été à Espace libre, se déroulait dans une cafétéria d'école secondaire. Simon Boudreault semble avoir un faible pour les métaphores alimentaires puisque sa nouvelle pièce, Soupers, se déroule dans des restaurants. Discussion avec le maître d'hôtel.

On écoute souvent les conversations de nos voisins de table au restaurant. L'air de rien, on laisse notre oreille attraper au passage les banalités ou les confidences qui s'échangent au dessus des assiettes, capter le début d'une chicane ou la fin d'une anecdote. Pour satisfaire notre curiosité ou combler le vide de nos propres tête-à-tête.

Soupers semble conçu sur mesure pour combler notre voyeur intérieur. Poursuivant son exploration de la difficulté qu'on a à entrer en contact avec les autres, le dramaturge et metteur en scène Simon Boudreault a pensé à placer les acteurs et les spectateurs dans un seul et même espace: une salle à manger de restaurant.

Pour tout dire, son personnage Marc-Antoine (Alexandre Daneau) va s'attabler dans quatre endroits différents au cours de la pièce et mangera avec sa mère, sa soeur, une collègue de travail et son... chat, qu'il a baptisé Guy. Ce concepteur de jeux vidéo obèse et dans la trentaine n'est pas, on le devine, un champion des relations interpersonnelles.

«Il est un peu perdu comme homme, mais aussi comme être humain», expose le dramaturge, précisant que son Marc-Antoine a des problèmes dans ses rapports avec les femmes qui l'entourent. Son métier, qui le projette constamment dans l'imaginaire, ne l'aide pas non plus à «trouver sa place dans la réalité».

L'attabler au restaurant permet bien sûr de réduire la distance entre les acteurs et les spectateurs. De placer les premiers dans une position de vulnérabilité face à l'assistance et de clairement positionner les seconds comme des voyeurs. Surtout, le restaurant permet de jouer avec un élément relativement peu présent sur les scènes: de la vraie nourriture.

Manger est un ciment social. On s'invite à souper, on se donne rendez-vous au restaurant, on insiste pour prendre le repas en famille. «C'est comme si la bouffe devenait une béquille, observe Simon Boudreault. Pendant un souper, on peut n'écouter que les conversations autour, mais ce n'est pas grave, on mange. On n'a pas besoin de parler ou d'être en relation, on mange...

«Ce que je trouvais intéressant au plan théâtral, c'est que ce n'est pas pareil, deux personnages qui se regardent dans le blanc des yeux en se disant des choses intimes ou en se faisant des reproches et les deux mêmes personnages qui se disent les mêmes choses, mais en mangeant. Comme si le fait de manger désamorçait la situation.»

Ce jeu de distanciation alimentaire étant capital dans Soupers, Alexandre Daneau et ses partenaires de jeu (Sophie Clément, Caroline Lavigne et Catherine Ruel) mangeront pour vrai durant les représentations. «Ça pose toutes sortes de défis techniques, reconnaît le metteur en scène. Mais quand ils faisaient semblant de manger, il y avait quelque chose de plus impliquant, certaines choses devenaient plus intenses. Il n'y avait pas cette distance que je recherchais.»

Ce n'est pas le seul défi auquel feront face les comédiens. L'inhabituelle proximité avec les spectateurs risque d'être elle-même intéressante, selon Simon Boudreault. «Habituellement, les comédiens sont protégés par le quatrième mur. Ils sont dans leur bulle, sur leur scène. Là, il n'y aura pas cette bulle-là. Le monsieur qui se gratte à côté, ça va déranger ou donner une énergie, fait-il valoir. J'ai très hâte de voir ce que ça va créer.»

Soupers, du 8 au 26 février à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d'Aujourd'hui.