Voilà une pièce qui fera jaser.

Tout commence par un simple beat, qui se répète inlassablement, jusqu'à ce qu'arrivent - des coulisses ou de la salle, un à un ou par grappes - les 50 comédiens-chanteurs-musiciens de Chante avec moi. Petits et grands, minces et gros, toute la faune humaine est bien représentée.

Le premier, hésitant, se met au clavier; les autres entrent en scène, quelque peu surpris, sourire aux lèvres, prêts à jouer le jeu; tous se mettent à entonner spontanément ce refrain qui ne nous quittera plus pendant plus d'une heure: «Je chante, oui je chante, pour que tu chantes, avec moi.»

Pendant près de 40 minutes, les 50 interprètes de Chante avec moi nous martellent cette chanson (créée de toutes pièces) dans la tête. Avec toutes ses déclinaisons possibles. En choeur, par petits groupes, sopranos, basses, en canon, en dansant, en tapant des mains, etc.

Ce long numéro de chant se termine par l'arrivée d'un invité-surprise, qui entre par les grandes portes de l'arrière-scène et qui en rajoute! Avec ces paroles creuses qui ne riment à rien... «Chanson énigmatique, exotique, diplomatique, sismique, lyrique, érotique», etc. Le tout savamment chorégraphié, bien enrobé avec des percussions, instruments à cordes, à vent...

Olivier Choinière, concepteur de cet étrange spectacle qui nous réduit à notre plus simple expression de «suiveux», fait ici l'éloquente démonstration de son propos. Puisque le public embarque, applaudit, accepte ce ver d'oreille qui s'insinue doucement en lui. Et en redemande! Ce que sa troupe s'empresse de faire, à notre grand dam.

Car après le départ de notre invité-surprise, alors que les membres de cette chorale infernale s'embrassent, se félicitent et se dispersent, on entend de nouveau battre la mesure, cette fois plus rapidement. Tels des automates, les interprètes reprennent le spectacle du début! «Je chante, oui je chante...»

Cette fois, ils sont bien réchauffés, plus à l'aise, mais de moins en moins souriants. Ils obéissent au diktat du jingle. Et nous, pauvre public, subissons cette chanson ridicule qui nous est de nouveau balancée. Le rythme continue de s'accélérer, au point où on a l'impression d'assister à un cours d'aérobie...

Mais cet air sympa qu'on entonne presque volontiers au début, d'ailleurs chanté avec coeur et bonhomie, finit par nous envahir. Et à force de s'imposer à nous, on finit par en avoir raz le... Mais c'est trop tard! Nous sommes tous conditionnés à le réentendre. Et eux à le chanter. Tels des chiens de Pavlov.

Olivier Choinière réussit à explorer habilement cette mécanique du consentement en nous offrant une formidable matière à réflexion, où se noie l'individu.

Et le public (quand même bon joueur) tape des mains, tape des pieds, chante ce refrain aliénant et ovationne même la troupe, relayée à la fin par un iPod qui retransmet une partie du spectacle. C'est comment qu'on freine? chantait Bashung. On ne sait pas trop comment s'en sortir...

Chante avec moi, jusqu'au 6 novembre, à Espace libre.