La pluie battante de mercredi soir a traversé les murs de l'Usine C et inondé la scène durant les premières minutes du Fusil de chasse, drame poétique écrit par le Japonais Yasushi Inoué, adapté et mis en scène avec beaucoup de finesse par François Girard.

Un poète et chasseur, dont on ne voit que le profil et l'ombre et les gestes lointains, reçoit trois lettres: une de la fille de sa maîtresse, une autre de sa femme et une dernière de sa maîtresse. Seule sur scène, Marie Brassard interprète tour à tour, avec aplomb, fragilité et sensualité, ces trois femmes liées par leurs destins respectifs, toutes victimes du sentiment amoureux.

Chacune révélera ses sentiments véritables vis-à-vis d'un homme qui a aimé autant qu'il a trahi et blessé.

La fille de sa maîtresse apprend la liaison de sa mère en lisant son journal et rage de ne rien lire à propos de son père, qu'elle n'a pas connu; tandis que sa femme, elle, met terme à une pénible relation de 13 ans, tout en lui avouant ses nombreuses tromperies, motivées par les infidélités de son mari.

Seule sa maîtresse offre le témoignage d'un amour vrai, quoique vécu dans le «péché». Mais même elle n'a pas été fidèle à son amant, cédant, comme elle dit, au serpent qui sommeillait en elle. Ce serpent qui symbolise entre autres l'égoïsme.

Le flot ininterrompu des mots de Yasushi, traduit dans une langue très belle et très claire, aurait pu assommer le spectateur le plus stimulé; malgré la lourdeur du propos, il n'en n'est rien. Les mots s'écoulent doucement, comme des vagues qui nous caressent les pieds, en nous envoyant de temps en temps de gros galets sur les orteils.

Cette impression nous vient peut-être d'ailleurs du plancher de la scène, qui se transforme avec les trois monologues. Du parterre inondé avec des fleurs de lotus qui flottent sur l'eau au plancher de bois, en passant par cette plage de petites pierres de ruisseau, chaque fois l'ambiance s'accorde avec les mots et le corps de ces personnages féminins.

Impeccable interprétation

Marie Brassard habite chacune de ces femmes qui se dévoilent tantôt avec candeur, désespoir et mépris, mais toujours avec beaucoup de coeur et d'esprit, avec une liberté qui devait manquer cruellement dans les rapports qu'elles entretenaient avec cet homme muet, interprété par Rodrigue Proteau.

«Aimer ou être aimé, qu'est-ce qui est le plus important?» lui demande sa maîtresse dans sa lettre qui commence par: «Quand vous lirez ces lignes, je ne serai plus là.» Telle est la question posée par Yasushi Inoué, qui loue aussi la mort de nous délivrer de ce poids.

Au final, le succès de cette pièce tient autant aux mots de Yasushi Inoué qu'à l'impeccable interprétation de Marie Brassard, qu'on suit des yeux sans se lasser, convaincu - était-ce l'éclairage? ou sa coiffure? ou ses yeux en amandes? - qu'elle est aussi japonaise. Autant que ces trois femmes.

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Le fusil de chasse, jusqu'au 16 octobre à l'Usine C.