Qui a été Jackie Kennedy-Onassis? La femme d'un président assassiné. L'incarnation de la classe et du style. Une mère endeuillée. Une épouse qui s'est accomplie aux côtés de ses hommes de pouvoir. Un carré de soie Hermès dans les cheveux et de gros verres fumés. Une femme trompée qui ne s'est jamais épanchée publiquement. Mais surtout, une icône.

Denis Marleau et Stéphanie Jasmin (du théâtre UBU) ont confié à Sylvie Léonard le rôle de l'énigmatique symbole de la classe à l'américaine, dans la pièce Jackie de l'Autrichienne Elfriede Jelinek. Selon l'actrice qui montera en solo la scène de l'Espace GO, Jackie est une incursion dans la tête de celle qui a popularisé le tailleur Chanel.

«C'est comme si l'on décidait de montrer comment Jackie s'est construite pour ensuite se déconstruire. L'image du vêtement est récurrente dans le texte, parce que c'est ce qu'on connaît le plus de Jackie! Avec elle, c'est toujours un combat entre l'image et la prison que cette armure est devenue», indique Sylvie Léonard, rencontrée dans une loge d'Espace GO à quelques jours de la première de Jackie.

La brune actrice aux yeux profonds soutient qu'en dépit de toutes les biographies et les entretiens qui ont été publiés sur elle, on ne sait pratiquement rien de la vie intérieure de la veuve de John F. Kennedy.

Dans sa prime jeunesse, Jacqueline Bouvier a remporté une bourse de journalisme chez Vogue, qui lui aurait donné le privilège de passer une année à Paris. Mais sa mère a imposé son veto et refusé une émancipation professionnelle à sa fille.

«On lui a plutôt inculqué la notion qu'elle devait prendre un parti et devenir la femme d'un homme important. Que c'est ainsi qu'elle devait se définir dans la vie», avance Sylvie Léonard, qui parle de son personnage comme d'une femme impénétrable, toujours impeccable, qui ne démontre jamais de faiblesse. «On a l'impression que cette image a été créée par les autres, mais le contrôle qu'elle avait sur cette image est presque monstrueux», évoque Sylvie Léonard.

«Jelinek décrit la vie avec Jack, ses enfants, les maîtresses. Et bien sûr, il y a Marilyn. Celle-ci est un pôle opposé mais en même temps une jumelle. Par moments, dans la pièce, elle se sent souveraine par rapport à Marilyn. Elle oscille entre la rage de ne pas avoir été une image comme elle et la fierté de ne pas s'être offerte, d'être demeurée un mystère...»

Fusion maternelle

La femme de lettres autrichienne Elfriede Jelinek s'est surtout fait connaître avec son roman Le pianiste, récit fortement autobiographique adapté pour le grand écran en 2001 par Michael Haneke. Jackie est tiré de Drames de princesses: la jeune fille et la mort IV, pièce qui a été publiée en 2003.

C'est Ginette Noiseux, la directrice d'Espace GO, qui a d'abord pensé à la moitié yin d'Un gars, une fille pour enfiler les tailleurs Chanel de Jackie. «J'ai été vraiment emballée par ce défi, par cette écriture, poursuit Sylvie Léonard. On se sent comme dans une forêt où il y a plein d'arbres et une absence de chemins. Jelinek laisse aux créateurs une liberté totale de faire ce qu'ils veulent.»

Dans la pièce, Jelinek décide de prendre la parole sur ce qu'elle croit être la «vraie Jackie.» Mais cela est invention pure, puisque rien de ce qui a été écrit sur elle ne nous permet de comprendre le personnage. «En lisant sur elle, on n'a jamais l'impression de toucher à la vulnérabilité de cette femme. On regarde une image d'elle dans laquelle on voudrait entrer. On a envie de lui dire «livre-moi plus que ce que tu nous offres». Jackie était-elle heureuse ou malheureuse de ça? Était-ce le destin qu'elle a choisi? On ne le saura jamais.»

Chez Jackie, nous apprend l'auteure, la pulsion d'obéir aux attentes de ses parents qui la voulaient parfaite est plus forte que tout. Jackie, avec ses tailleurs courts et son audace calculée mais jamais déplacée, aura-t-elle été un modèle positif ou destructeur pour les femmes publiques qui lui ont succédé? «Je pense que c'est les deux. Elle a épousé et imposé tout un nouveau modèle. Les femmes se sont beaucoup identifiées à cette mode-là. En même temps, elle incarne quand même un carcan de féminité exacerbée. Un peu comme dans Mad Men

Les pensées des icônes sont impénétrables. Mais on peut toujours fantasmer.

Jackie, du 5 au 30 octobre à Espace GO.