Croisé quelques minutes avant la première de Vassa, jeudi dernier, le metteur en scène d'origine russe Alexandre Marine affichait une certaine nervosité...

Pourtant, tout dans Vassa annonçait un succès: l'histoire de Gorki, ses héroïnes plus grandes que nature, une distribution solide menée par Sylvie Drapeau, et puis cette petite touche Marine qui ressemble à une signature. Mais, on ne sait jamais...

Ce que nous savons, c'est que le metteur en scène d'Un tramway nommé Désir et Marie Stuart maîtrise parfaitement le sujet qu'il aborde; que sa connaissance du texte lui permet de faire des choix parfois audacieux, même si la facture générale de ce Vassa est assez classique.

N'empêche. La grande force de la pièce qui ouvre la saison du Rideau Vert réside dans la formidable cohésion des échanges tumultueux entre chacun des membres de cette famille russe foncièrement malheureuse, où chacun espère une vie meilleure... ailleurs.

Alexandre Marine a également intégré quatre chorégraphies qui ponctuent le récit tout en le narrant. Avec la musique inspirée du fiston, Dmitri Marine; et ce rythme et cette tension qui nous tiennent en haleine pendant que nous suivons les tiraillements et trahisons des Geleznova, dans un décor assez sobre planté sur une scène pivotante.

La lecture que fait Alexandre Marine de Vassa révèle toute la finesse et l'humour noir du drame imaginé par Maxime Gorki en 1910, entre les deux révolutions russes. Adapté par Marine en russe, puis traduit en français par Anne-Catherine Lebeau, la langue de Gorki nous apparaît à la fois claire et percutante. Et ce, même si la dimension politique de l'oeuvre a été pratiquement évacuée.

Sylvie Drapeau se montre encore une fois à la hauteur du rôle immense de Vassa Geleznova, femme intelligente, à la fois très dure et très fragile, qui fait tout pour sauver le commerce familial et garder unie sa famille, la plupart du temps contre le gré de ses membres.

Le jeu de Sylvie Drapeau, très physique, aurait pu verser dans la caricature. Au contraire, chacun de ses gestes traduit la complexité du caractère de cette femme de pouvoir, qu'on sent prête à craquer à chaque instant, mais qui n'en demeure pas moins despotique.

Sur scène, la comédienne est très bien entourée. Mentions particulières à Jean-François Casabonne, excellent dans le rôle de l'oncle Prokhor, vieux satyre qui se dresse en ennemi de la famille, et aux garçons de Vassa, interprétés avec justesse par Marc Paquet, l'idiot, et Hubert Proulx, le gueux. Chacun joue sa partition sans écraser l'autre.

Parmi les personnages secondaires, un nom à retenir: celui de Geneviève Schmidt, qui interprète le rôle de la belle-fille de Vassa, Natalia. La jeune comédienne sortie de l'École nationale il y a à peine deux ans nous offre certains des meilleurs moments de Vassa.

Chacune de ses présences sur scène a révélé chez l'actrice un réel sens du rythme, un jeu non verbal très fin - avec une dose raisonnable de cabotinage - et une présence lumineuse. Du bonbon pour les comédiens d'expérience, dont le jeu s'en est trouvé rehaussé.

Cette joute familiale se termine comme la mère l'a voulu. Pour le meilleur et pour le pire. Avec une conclusion assez claire: la fin justifie les moyens.

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Vassa. Au Rideau Vert jusqu'au 16 octobre.