La saison théâtrale qui commence sera riche pour Émilie Bibeau. L'actrice se mesurera entre autres à deux rôles presque mythiques sur les planches du TNM: Polly Peachum dans L'Opéra de quat'sous de Brecht et Ophélie dans Hamlet.

Pour les téléspectateurs, Émilie Bibeau est surtout Rosalie, jeune déficiente qu'elle a interprétée dans Annie et ses hommes. Pour les amateurs de théâtre, c'est d'abord une comédienne dotée d'une extraordinaire capacité de transformation. Pour l'intervieweur, c'est l'interlocutrice idéale: l'esprit allumé et la parole facile.

La jeune actrice de 30 ans possède en effet une grande vitalité. Elle aura d'ailleurs besoin de toute son énergie pour passer à travers les prochains mois. En plus de tourner des capsules pour l'émission Tranches de vie, diffusée à TVA à compter du 22 septembre, elle a trois pièces au programme.

René Richard Cyr, qui l'a notamment dirigée dans Le vrai monde?, a fait appel à elle pour Minuit, Chrétiens présenté en décembre chez Duceppe. Mais ce qui suscite chez la comédienne un mélange «d'excitation et de crainte», ce sont d'abord les rôles qu'elle jouera bientôt dans L'opéra de quat'sous et à l'hiver dans Hamlet.

«C'est toujours quelque chose d'aborder ces rôles mythiques», dit-elle. Pour s'y préparer, elle a notamment pris le temps de penser aux dernières comédiennes à les avoir joués ici: Isabelle Blais dans le cas d'Ophélie et Nathalie Malette dans celui de Polly Peachum. Elle a songé à la forme de leur visage, à leur énergie et mis ces infos dans son «jardin intérieur d'actrice».

Émilie Bibeau se dit de plus emballée d'interpréter ces deux personnages sur les planches du TNM. «Ça correspond à mon rêve de petite fille, avoue-t-elle. Quand j'étais au secondaire, à Québec, on venait voir une pièce par année au TNM. Je me souviens de la sensation d'arriver en ville par le pont Jacques-Cartier, de découvrir le TNM et d'entrer dans la salle. J'en avais le coeur serré tellement j'étais contente!»

Elle se rappelle y avoir vu Jeanne Dark de Brecht, en 1994. Catherine Sénart interprétait le rôle titre et la distribution comptait également un certain Marc Béland, qui la dirigera dans Hamlet. «Penser que, des années plus tard, je vais travailler avec lui comme metteur en scène me touche beaucoup», révèle la comédienne.

Vocation naturelle

Émilie Bibeau est tombée dans le théâtre quand elle était petite. Son père enseignait la littérature et sa mère dirige toujours une compagnie de théâtre jeunesse qui loge à la même enseigne que le Théâtre du Trident, au Grand Théâtre de Québec. «J'y ai vu beaucoup de spectacles à partir des coulisses, raconte-t-elle. Je me souviens que mon premier contact avec Brecht a été Le cercle de craie caucasien que Serge Denoncourt a monté au Trident vers 1995. Ça m'avait marquée.»

Enfant unique baignée de culture, elle a touché à tout (radio étudiante, improvisation, théâtre musical) et décidé «très naturellement» qu'elle serait comédienne. «Je pense que mes parents, même s'ils étaient dans le milieu, auraient préféré que je fasse quelque chose de plus sécuritaire, que je veuille être médecin», s'amuse-t-elle. Comme quoi les parents, même dotés d'une fibre artistique, demeurent avant tout des parents...

Son bagage culturel constitue bien sûr un atout pour la jeune artiste, diplômée du Conservatoire dramatique de Montréal en 2003. Or, sa chance, c'est d'avoir tout de suite travaillé en sortant de l'école. «Quand on sort, on est gonflé à bloc. On a été nourri et stimulé pendant trois ans, on a envie de jouer avec d'autres gens, expose-t-elle. Mais des fois, tu ne travailles pas et c'est facile de se perdre dans des jobines, de s'éloigner de ce milieu-là.

«Moi, j'ai toujours réussi à travailler ou à faire des choses connexes, j'ai eu cette chance-là, poursuit-elle. C'est un métier où il faut être patient, mais c'est dur d'être patient. Il faut saisir au vol les chances qui se présentent et c'est ce que je vais faire cette année.»

De grandes amoureuses

Même si elle dégage par moments une certaine candeur, Émilie Bibeau semble envisager son métier avec davantage de sérieux que de romantisme. «Je l'aborde d'une manière romantique quand je suis dans le vif du travail», précise-t-elle, un peu embêtée par la remarque. Si embêtée qu'elle prendra soin de préciser sa pensée par courriel, plusieurs heures après son passage à La Presse.

«Même si je pense être très passionnée par mon métier, que je pense être la plupart du temps très romantique dans ma façon de l'aborder, de rêver à mes rôles ou aux pièces dans lesquelles je joue, le fait de ne pas oublier que ça demeure un travail m'aide à garder un certain équilibre, écrit-elle. Comme nous nous trouvons souvent dans les extrêmes (...) je crois que c'est essentiel. Aussi, pour moi, la passion n'empêche pas l'organisation. En bref, je suis pour un romantisme rigoureux!»

Une romantique rigoureuse? L'étiquette va comme un gant à cette jeune femme à la pensée nette, mais qu'on devine rêveuse. Et c'est sûrement sa propension à rêver qui l'incite à voir Polly Peachum et Ophélie, des filles manipulées et éconduites par leur amant, d'abord comme de grandes amoureuses.

«Jouer de grandes amoureuses, des femmes complètement investies dans leur amour, c'est quelque chose de vraiment plus large que soi et c'est le fun à jouer. C'est beau et c'est noble, l'amour, dit-elle. C'est une belle zone de l'être humain.»

Polly et Ophélie, amoureuses trahies

Emblème de la dramaturgie mondiale, Hamlet jouit d'une renommée qui rejaillit sur ses principaux protagonistes. Ainsi, nul besoin d'être expert en théâtre élisabéthain pour savoir que la belle Ophélie, repoussée par le prince Hamlet, sombre dans la folie et est retrouvée noyée.

Sa mort mystérieuse accident? suicide? a inspiré de nombreux tableaux (par Delacroix, Waterhouse, Cabanel), dont le plus célèbre est peut-être celui de John Everett Millais, conservé à la Tate Gallery de Londres. Une reproduction de ce tableau a déjà orné la couverture de Hamlet publié dans la collection Folio.

Polly Peachum, en revanche, n'est pas aussi universellement connue. Fille de Jonathan Peachum, le roi des mendiants, elle s'amourache de Macheath, fuit la maison familiale et se marie en cachette avec ce prince des voleurs. Furieux, son paternel menace de troubler le couronnement de la reine si la police ne met pas Macheath en prison.

Lorsqu'elle ira le visiter derrière les barreaux, Polly découvrira qu'elle n'est pas la seule à qui son bandit chéri a promis son amour, et sera aussi brutalement repoussée par lui. Grâce à une acrobatie du scénario qu'on oserait qualifier de deus ex machina ironique, l'amour finira toutefois par triompher.