L'acteur, dramaturge et metteur en scène Philippe Ducros n'a jamais rêvé de diriger un théâtre. Sans compter que son art se nourrit de ses voyages aux quatre coins du monde. Pourtant, depuis lundi, il est à la tête d'Espace libre.

Les voyages occupent un espace de premier plan dans les notices biographiques de Philipe Ducros, qui a traversé les frontières d'une vingtaine de pays d'Afrique, d'Asie, du Moyen-Orient et des Amériques. Ses pérégrinations ont «embrasé son imaginaire», est-il écrit sur le site de son agent. Sa démarche artistique est ancrée dans ces pèlerinages, indique sa fiche du Centre des auteurs dramatiques.

Or, l'autodidacte de 39 ans, qui n'avait sans doute jamais rêvé de diriger autre chose que sa propre compagnie (Productions Hôtel-Motel), s'est trouvé un port d'attache: Espace libre. À l'orée de l'été, il a en effet accepté de prendre la relève d'Olivier Kemeid au poste de directeur artistique de ce lieu de diffusion fondé en 1979 par le NTE, Omnibus et Carbone 14 (déménagé depuis à l'Usine C).

«C'est ici que je suis né artistiquement», explique Philippe Ducros. C'est dans ce théâtre qu'il a fait ses débuts comme comédien professionnel (avec Omnibus, notamment). C'est là aussi qu'il a fait jouer ses premières pièces (Le 4e round et Diapodiaspora en 2000) et qu'il a d'abord tâté de la mise en scène. «Toute mon histoire théâtrale est liée à ce lieu.»

Espace libre a par ailleurs été le théâtre de son dernier coup d'éclat: en décembre 2009, il y a monté sa pièce L'affiche, oeuvre percutante, à la fois dure et subtile, campée à la frontière d'Israël et des Territoires occupés dans laquelle il abordait de front les mécanismes de l'endoctrinement religieux à l'oeuvre tant chez les Palestiniens que les Israéliens.

Théâtre et politique

Son intérêt pour la politique le suivra à la direction artistique, bien entendu. «La prise de parole va être présente, mais elle n'a pas besoin de passer par un texte, indique-t-il. Elle peut aussi passer par l'outil qu'on utilise pour réfléchir sur la société et l'humain, l'outil qu'est le théâtre.»

Philippe Ducros n'entend pas faire d'Espace libre un théâtre «politique» ou «engagé». Il se dit d'ailleurs mal à l'aise avec cette étiquette. «Pour moi, tout est engagé, tout est politique.» Sa réflexion sur l'ordre établi colle avec le théâtre de recherche qu'est Espace libre, juge-t-il, et il a envie de s'intéresser à la liberté.

«La liberté, de nos jours, est malmenée, estime le directeur artistique. Elle a perdu de sa saveur. Je trouve important de ramener à l'avant-plan le combat de la liberté - artistique, politique, individuelle ou citoyenne - dans une société comme la nôtre où la culture est de plus en plus industrialisée et où elle occupe une place énorme.»

Philippe Ducros n'aborde pas son poste de directeur artistique avec une mentalité de gestionnaire et balaie d'un revers de main les notions commerciales de productivité et de rentabilité. Il parle plus volontiers de «dynamiser» ce lieu de diffusion, de l'ouvrir au maximum aux créateurs «dans des conditions dignes».

«Il faut donner un accès aux lieux de représentation pour les compagnies qui sont itinérantes parce que c'est un problème criant au Québec», dit l'homme de théâtre, qui va jusqu'à parler d'une «crise des lieux de diffusion».

«Ce qui m'intéresse, résume-t-il, c'est d'aller chercher des choses qui ne peuvent se faire qu'à Espace libre. C'est un lieu de recherche où je revendique le droit de se péter la gueule. Il y a des choses qui se font et qui ne marchent pas. Et c'est important.»

Son nouveau poste forcera-t-il cette âme nomade à expérimenter la... sédentarité? Philippe Ducros convient qu'il va devoir aborder le nomadisme «d'une manière différente», ce qu'il a déjà commencé à faire. Puis, il ajoute: «Mais je pars dans trois semaines au Congo.» Un port d'attache, ce n'est pas seulement un point de chute, c'est aussi un point de départ.

La saison 2010-2011 d'Espace libre sera dévoilée officiellement lundi, mais est déjà en ligne sur le site du théâtre: www.espacelibre.qc.ca