C'est une Duchesse de Langeais très contemporaine et toute en nuances que Rita Lafontaine met en scène jusqu'à samedi au studio-théâtre de la Place des Arts, la pièce de Michel Tremblay étant fort bien servie par le jeune comédien Francis Bourgea.

Le long monologue d'Édouard, ce prostitué et travesti de la Main qui fait un retour sur sa vie débridée, n'est pas une mince affaire à jouer mais Francis Bourgea s'en tire fort bien.

Dès le départ, la pièce se démarque des productions précédentes. Le public pénètre dans la salle et la duchesse est déjà là, sur scène, couchée sur le dos dans son lit, dans un beau pyjama japonais de soie rouge.

Le lit est incliné et enfoncé dans le sable. En effet, on se trouve à la fois dans une chambre et sur la plage. D'ailleurs, en fond sonore, le bruit des vagues accompagne le monologue de sa lancinance tout le long de la pièce. Un personnage muet - son ami imaginaire? L'ange de la mort? Son autre lui-même? -, joué par David Marcel, vient placer une couverture sur Édouard puis lui apportera ce whisky dont la duchesse se saoule sans réserves.

Francis Bourgea entre petit à petit dans le personnage, l'habitant de mieux en mieux. Le texte est cru. La duchesse est vulgaire. Mais Bourgea, avec beaucoup de sensibilité, adoucit le personnage et limite l'éternelle caricature de la drag queen à son strict minimum, sans en rajouter.

On sent à quelques reprises le manque d'expérience du comédien qui livre là son premier grand rôle mais cela ne nuit en rien à sa prestation, au contraire, car cela donne du coup beaucoup de naturel à cet Édouard des temps modernes. Car Bourgea sait jouer avec les silences. Il prend son temps, donne à son jeu beaucoup de justesse et parvient même à se doter de ce souffle court qu'on acquiert quand on parle sans arrêt.

La deuxième partie de la pièce se corse quand Édouard revient des toilettes... sans bas de pantalon. Les pans de son haut de pyjama parviennent la plupart du temps à cacher ses parties intimes mais la fin de la pièce nous le livre presque entièrement nu, alors que le personnage muet le démaquille dans son lit puis le déshabille entièrement. Un moment à la fois beau, dérangeant et intense.

«C'est ça qu'on appelle la décadence, je suppose», dit alors Édouard.

L'ajout du personnage muet par Rita Lafontaine s'avère finalement fort judicieux. Il apporte un peu de tendresse, notamment dans cette dernière scène où Édouard se retrouve (meurt?) au creux de son bras.

Á l'issue de la première, mardi soir, Rita Lafontaine était heureuse et fière de la prestation de ses deux comédiens. Francis Bourgea était également satisfait d'avoir brisé la glace et content de la réaction du public et de sa performance. «C'est particulier pour un dodu de se trouver nu sur scène, a-t-il dit. Mais bon, ça aidait pour voir ce qu'est la fin de la vie, finalement un retour vers la nudité de l'enfance.»

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La Duchesse de Langeais, pièce de Michel Tremblay. Mise en scène de Rita Lafontaine. Avec Francis Bourgea et David Marcel. Studio-théâtre de la Place des Arts. Jusqu'au 14 août.