Le dernier segment du volet Wajdi Mouawad du Festival TransAmériques a débuté lundi avec la première montréalaise de Ciels. Cette ultime pièce du cycle Le sang des promesses marque une rupture avec celles qui la précèdent, en particulier au plan esthétique. D'une approche «zéro techno», le metteur en scène passe en mode bidouillages sonores et projections.

Ciels est d'abord une expérience sensorielle. Enfermé dans une sorte de bunker fait de toile blanche, assis sur de petits tabourets pivotants, on suit l'action qui se déroule tout autour de nous, soit à travers des images projetées, soit à travers des scènes jouées. On est par ailleurs matraqué à quelques reprises par un environnement sonore à volume élevé. On se sent d'ailleurs un peu comme un rat de laboratoire. Claustrophobes s'abstenir.Ciels s'appuie sur une trame narrative digne d'un roman d'espionnage. Un complot terroriste est pressenti, mais la menace demeure encore diffuse lorsque l'un des membres d'une cellule antiterroriste spécialisée dans l'écoute électronique se suicide. Coïncidence? Signe d'une trahison? Le mystère doit être percé.

Wajdi Mouawad ne s'est pas transformé en scénariste de la série 24. S'il y est d'abord question d'une attaque bactériologique à l'anthrax, sa pièce bifurque bientôt vers des préoccupations bien plus grandes. L'attentat terroriste n'est qu'un prétexte pour explorer, sous des angles différents, le thème de la filiation (essentiellement à travers la relation au père), la guerre (les cicatrices qu'elle laisse), l'amitié et la beauté.

Ici, mathématiques pures, cryptographie et poésie s'allient jusqu'à se confondre. La clé de l'attentat visant à «violer» l'Occident «pour le forcer à réaliser l'incommodité de sa position bien commode», se trouve dans l'interprétation d'un tableau du Tintoret représentant L'Annonciation. D'où cette référence ironique à l'esprit du roman Da Vinci Code, parfois accolée à la pièce par ceux qui l'ont commenté jusqu'ici.

Cette glissade vers une forme d'ésotérisme esthético-politique n'est toutefois pas la principale raison pour laquelle la dernière création de Wajdi Mouawad laisse sur sa faim. Ce qui agace, c'est sa manière moralisatrice ou, à tout le moins, manichéenne. Ciels oppose en effet sans grande nuance poésie, culture et mémoire - valeurs associées à une jeunesse sensible et révoltée - à l'action, à l'agir et à l'efficacité qui se réclament de la «vérité» (l'ordre établi, bien entendu).

Ces visions du monde se confrontent principalement à travers Clément Szymanowksi (mathématicien intuitif interprété par Stanislas Nordey) et Vincent Chef-Chef (un «jeune vieux» ambitieux joué par Olivier Constant). Le jeu du comédien porteur de cette vision poétique (Nordey) étant par ailleurs particulièrement affecté, exalté, il détourne du message davantage qu'il ne suscite l'adhésion.

L'époque serait-elle trop cynique pour ne voir rien d'autre qu'un idéalisme naïf dans ce noble désir de porter bien haut le flambeau de la poésie? Il reste que la piste sur laquelle Ciels finit par lancer spectateur pour retrouver un peu d'espoir et de beauté paraît bien convenue au terme d'une expérience intéressante au plan physique, mais qui semblait porteuse de plus grandes promesses sur celui de la narration.

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Ciels est présenté jusqu'à vendredi, à 19 h, chez Duceppe.