Il faudra désormais préciser que The Dragonfly of Chicoutimi est une pièce écrite pour un OU cinq personnages, tant le pari du Théâtre Petit à Petit est réussi.

Le monologue de Larry Tremblay - défendu par Jean-Louis Millette lors de sa création en 1995, qui en fit apparemment une mémorable interprétation - a été magistralement revisité par Claude Poissant, multipliant par cinq l'impact de ce texte qui renaît dans une version vitaminée.

Suspendus sur scène, cinq cubicules ouverts sur le public servent d'espace de jeu pour les cinq comédiens qui se partagent le monologue de Gaston Talbot sans presque jamais se voir. Pourtant, il y a entre eux une étonnante complicité, qui nous rappelle qu'ils ne forment tous qu'un seul personnage.

S'adressant à nous en anglais, Gaston Talbot se raconte en empruntant des chemins sinueux et tortueux. Il nous fait des confidences, puis se rétracte. Avoue avoir menti. Ce n'est pas toujours clair. Limite mythomane, il demeure obsédé par son passé. Et par la relation ambiguë qu'il a entretenue avec son ami d'enfance Pierre Gagnon.

Tout tourne autour d'un rêve étrange que fait Gaston Talbot. Un rêve où il s'entend parler anglais et où il est question de Pierre Gagnon-Connelly (dont le père est anglophone), de sa mère, d'une libellule (dragonfly) et de bâtons de popsicle. Depuis ce jour, celui qu'on croyait aphasique ne parle que la langue de Larry. Et nous narre cette histoire qui finit mal.

Assimilation

Il y a 15 ans, certains y avaient vu une formidable métaphore de la fragilité de la langue française, de son assimilation, puis de sa disparition. Ce que l'auteur a d'ailleurs toujours consenti. Mais il me semble que la quête identitaire du personnage de Gaston est d'abord liée à la place qu'il cherche à se frayer dans un monde sans pitié. Même si la dimension politique est omniprésente.

Toujours est-il que les cinq déclinaisons de Gaston Talbot correspondent à des profils différents du personnage. Gaston enfant, adulte; celui qui vient de Chicoutimi, l'autre qui est avant tout américain; Gaston malade, qu'on croit aphasique; enfin sa mère, interprétée par un des Gaston (Daniel Parent).

Daniel Parent, Étienne Pilon, Dany Boudreault, Patrice Dubois et Mani Soleymanlou se passent le témoin avec beaucoup d'adresse. Quand l'un d'entre-eux prend la parole, les autres magnifient les mots de Gaston, grâce à un jeu très bien chorégraphié, tout en mouvements, parfois en choeur, avec effets de bruitages en sus.

Il y a beaucoup d'humour dans la mise en scène de Claude Poissant, qui a inséré entre les scènes de courts morceaux d'orgue. Ce qui finit par alléger un peu ce monologue à cinq voix où on finit quand même par le trouver lourd, Gaston.

L'anglais employé par Gaston Talbot est volontairement approximatif, ce que les cinq comédiens rendent bien avec leur accent québécois; les anglophones venus assister à la représentation de The Dragonfly (il y en avait plusieurs) l'ont-ils compris?

Des spectateurs assis à côté de moi trouvaient leur anglais bien incompréhensible. Exactement le but de Larry Tremblay il y a 15 ans, qui a cherché à dépeindre un homme en processus d'assimilation, en pleine mutation. En sommes-nous toujours là? Peut-être pas.

Mais bien malgré lui, l'auteur prouve à nouveau que les deux solitudes existent bel et bien. Et que ces solitudes peuvent se fractionner en d'autres solitudes, jusqu'à ce qu'on perde tous nos repères et tous nos espoirs.

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The Dragonfly of Chicoutimi. Du Théâtre PàP. À Espace GO ce soir et demain. En anglais.