Le metteur en scène Jérémie Niel l'admet d'emblée: le plus grand défi dans l'adaptation de Terre et cendres, de l'Afghan Atiq Rahimi, a été de gommer le contexte historique, politique et même géographique du roman. Pour en extirper les sentiments vécus par ses personnages.

«J'ai voulu m'attarder à l'essentiel du roman, explique-t-il. À ces personnages qui errent, qui essaient de se créer des objectifs, mais qui sont finalement complètement perdus; puisqu'ils quittent l'endroit où ils vivaient, qui a été détruit, et qu'ils ne savent pas vraiment où aller.»

Cette perte de repères a été la matière première de Cendres, que Jérémie Niel qualifie de pièce d'atmosphère. «C'est un roman de l'attente, où il y a peu d'action. Comme si nous étions dans un temps mou, qui se passe entre plusieurs actions. C'est un peu l'antichambre ou le purgatoire.»

L'histoire gravite autour d'un vieil homme, interprété par Georges Molnar, et de son petit-fils, joué par Raoul Fortier-Mercier, un garçon âgé de 9 ans - qui était de la distribution de Woyzeck, de Brigitte Haentjens. Ensemble, ils partent à la recherche du père de l'enfant. Sur leur chemin, ils croisent un marchand, un gardien, un contremaître et son assistant.

L'écriture scénique de Jérémie Niel, qui mêle le texte, le jeu, la musique et la vidéo, s'est inspirée des atmosphères du roman de Rahimi. «C'est un roman de sensations et d'émotions où on entend le vent, on sent les odeurs, on a chaud. J'ai tenté de recréer ces sensations sur scène», raconte-t-il.

C'est ainsi que le jeune metteur en scène d'origine française, qui est également l'adjoint de Jack Udashkin au Théâtre La Chapelle, s'est tourné vers le cinéaste Denis Côté (Les états nordiques, Carcasses), avec qui il a tout de suite senti des affinités artistiques.

«Le cinéma m'inspire beaucoup dans mes mises en scène, explique Jérémie Niel, qui en est à sa cinquième production avec sa compagnie Petrus, fondée en 2004. Pour Cendres, j'ai pensé à Denis Côté. C'est vraiment un magicien des images. J'aime sa façon de saisir la dimension artistique des choses, surtout quand elles sont dures ou laides.»

Sur le fond de la scène, un grand écran projette donc les images filmées à la carrière Miron (non identifiable à l'écran) par Denis Côté - dont c'est la première incursion en théâtre - et qui fait une interprétation visuelle du sentiment d'errance des personnages qui sont sur scène.

«On est plus dans le domaine des arts visuels à l'écran, précise Jérémie Niel. Les gens qu'on voit ne dédoublent jamais les personnages qui sont sur scène, ils ne sont jamais filmés de face; on ne voit toujours que des cous, des ombres, des morceaux de visages, on ne sait jamais exactement qui ils sont.»

Jérémie Niel se réjouit de cette nouvelle création où les personnages et les lieux ne sont pas bien identifiés, contrairement à la plupart de ses autres pièces (comme Tentatives, qu'il a écrite, ou Chroniques, trois textes d'Emmanuel Schwartz).

«J'avais la possibilité d'avoir des personnages un peu mystérieux, puisqu'on ne sait pas d'où ils viennent, où ils vont, qui ils sont. Plusieurs acteurs ont des accents étrangers lorsqu'ils parlent le français, ce qui m'intéressait beaucoup, parce qu'eux-mêmes peuvent paraître venir de nulle part...»

Enfin, le créateur de Cendres a voulu que tous les acteurs jouent avec des micros. «Ça leur permet de jouer de façon plus introvertie, nous dit-il. Les personnages peuvent même se permettre de chuchoter.» Et d'offrir, pourrait-on ajouter, une performance plus cinématographique, un élément-clé du théâtre de Jérémie Niel.

Cendres, au Conservatoire d'art dramatique de Montréal du 29 mai au 1er juin.